Nouvelles têtes, avec la journaliste Nesrine Slaoui

France Inter

19/11/2024

Elle est à la fois finaliste du jeu « Loup Garou » sur Canal+, et essayiste débattant sur les plateaux télé : dans les deux cas, elle a appris à repérer les pièges ! Nesrine Slaoui publie "Notre dignité – un féminisme pour les Maghrébines en milieux hostiles" chez Stock.

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00:009h50, les nouvelles têtes, Mathilde Serrell, ce matin, votre invitée à 30 ans et la ferme

00:06intention de se libérer des fantasmes auxquels on l'a assigné.

00:10L'écrivaine franco-marocaine Nesrin Slawi est dans notre studio.

00:14Bonjour Nesrin Slawi ! Bonjour, merci beaucoup pour l'invitation !

00:30Vous avez grandi avec les compils Ryan Bee, qu'on entend « Ryan Bee fever » à l'époque.

00:36C'était au début des années 2000.

00:39Quelle ado vous étiez ? Pleine de rêves.

00:41Une ado d'un petit quartier HLM du Vaucluse qui avait qu'une seule envie, c'était de

00:45partir très très loin, de réaliser ses rêves de journalisme, de Sciences Po, de Paris,

00:49de plein de choses.

00:50Donc voilà, j'écoutais beaucoup de la musique comme une forme d'émancipation et de liberté

00:55en même temps.

00:56Vous continuez à en faire.

00:57J'ai vu que vous collaboriez notamment avec le rappeur Thury, on voit ça sur Instagram.

01:00Donc vous avez un « side project » comme on dit dans le milieu hip-hop.

01:04Vous publiez votre troisième ouvrage, « Un essai chez Stock ». Vous avez émergé, lorsque

01:08vous avez raconté votre parcours de banlieusard rural dans le Vaucluse, avec une mère femme

01:13de ménage, un père maçon, quand vous débarquez à Sciences Po Grenoble.

01:15Vous êtes la première de votre famille élargie à avoir eu le bac.

01:18Vous avez des ambitions, l'envie de réussir et d'en ficher une sorte de réussite cinglante

01:24comme une claque, vous dites, pour ceux et celles qui n'ont pas cru en vous.

01:27Vous allez découvrir qu'une fois dans les hautes études et jusqu'à Sciences Po Paris,

01:30vos origines socio-culturelles ne s'effacent pas.

01:33Comme vous dites, ce sera l'objet de ce premier livre en 2021, « Illégitime », qui parle

01:37des 4% seulement de diplômés bac plus 5 qui sont enfants d'ouvriers non qualifiés.

01:42Depuis, vous continuez votre carrière de journaliste essayiste, vous avez fait un docus

01:45sur Kim Kardashian et la théorie du « corps mince-épais ». On vous invite à débattre

01:52sur les plateaux télé.

01:53Mais il reste un autre frein, un autre sentiment d'illégitimité dont vous n'aviez pas

01:57encore parlé.

01:58Vous êtes une femme ?

01:59Et je ne suis pas n'importe quelle femme, je suis une femme maghrébine.

02:02Et ça, vous vous en êtes rendu compte d'un coup ?

02:04Je me suis rendu compte progressivement.

02:06Moi, je ne me suis jamais vraiment vécue avec cette identité-là parce que j'ai grandi

02:09dans un environnement où tout le monde avait au moins une origine étrangère.

02:12Et puis, c'est quand je suis arrivée effectivement à Sciences Po où j'ai découvert ce mot

02:15que vous connaissez tous autour de la table qui est le mot « beurette » qui a été

02:19très violent pour m'entendre parce que c'était un qualificatif assez repoussant, mélange

02:23de fascination, de fétichisme, etc.

02:26Et donc, j'ai bien compris que mon corps n'était pas un corps neutre.

02:29C'est évidemment un corps de femme, mais c'est encore plus un corps de femme maghrébine,

02:32de danseuse du ventre, de charmeuse de serpents, de tous ces fantasmes qu'on a.

02:36Voilà.

02:37D'orientalisme délicieux.

02:38Exactement.

02:39Notre dignité en féminisme pour les maghrébines, en milieu hostile, même le mot « maghrébine

02:44», vous n'étiez pas totalement OK avec ?

02:45Et personne n'arrive à nous qualifier.

02:47C'est ce qui est fou avec cette identité, c'est qu'on est à la fois africaine, à

02:50la fois héritière aussi de la communisation arabe, de la communisation européenne.

02:53Qui sommes-nous ? C'est tout mon but de cet ouvrage-là.

02:56C'est en tant que Française d'origine marocaine, quelle est mon identité ? Est-ce que je suis

03:00plus amazigh que arabe ? Est-ce que je suis arabée française ? Et comment je peux jongler

03:04avec ces identités-là ? Et c'était un exercice très intéressant pour moi ce livre, parce

03:09que ça me forçait à me pencher sur l'histoire et en même temps, comme j'avais fait pour

03:12Kim Kateroui, c'est-à-dire regarder la pop-culture actuelle, notamment la télé-réalité.

03:16C'est ça, on va en parler, parce que le qualificatif de « beurette » dont vous parlez, il y a

03:19une opposition, il y a une sorte de tension entre « beurette » et « voilé ». Il y

03:24a deux propositions pour la femme maghrébine et les vedettes de télé-réalité, elles

03:28ont été coincées dans la catégorie « beurette », objet sexuel qui fait plus de 90% dans

03:33les recherches sur les sites pornos.

03:35C'est ça, mais c'est un chiffre qui m'a toujours… C'est assez affolant, et c'est

03:39surtout que les deux catégories sont des catégories recherchées sur les sites pornographiques,

03:42et donc moi le but de cet ouvrage, c'était de dire…

03:44Voilé aussi ?

03:45Oui, voilé et beurette font partie des recherches en top en France sur les sites pornographiques

03:49depuis 2015.

03:50Donc ça revient assez quotidiennement, et ça parle de ce fantasme-là.

03:54Moi j'invente un mot, un néologisme, dans le livre qui est l'arabe-misogynie, c'est-à-dire

03:58c'est un fétichisme, une misogynie spécifique aux femmes qualifiées d'arabe, peu importe

04:02nos origines ethniques en réalité, et c'est fondé sur cette dichotomie-là de la beurette

04:06et de la voilée, c'est-à-dire de la femme qui est soit trop dévergondée, soit trop

04:09dévêtue, qui est en fait la bimbo racisée, la bimbo maghrébine, et de l'autre côté

04:13une femme voilée qu'il faudrait justement dévoiler, qu'il faudrait sortir en tout

04:17cas d'une forme de soumission construite autour de sa famille notamment.

04:20Avec une forme d'érotisme dans le dévoilement qui peut venir aussi des années de la guerre

04:25d'Algérie, etc.

04:26Alors on va écouter justement une bimbo en chef de la téléréalité, c'est Nabila

04:30qui est débarquée sur TikTok et qui parle de livres.

04:32« Les amis, vous ne rêvez pas, c'est bien des livres que vous voyez devant moi. »

04:37Oui, elle est ambassadrice de BookTok maintenant, Nabila, elle c'est une des premières figures

04:41qui vous a intéressées dans ce qu'on a projeté sur elle, mais elle s'en émancipe

04:44quand même aujourd'hui.

04:45Mais c'est toute la force de Nabila quand on regarde justement les interviews de 2015

04:49en gros, elle émerge dans le débat public 2013-2014 et on voit qu'effectivement elle

04:53a été cantonnée très rapidement à cette idée de bimbo, forte poitrine, sans cervelle,

04:58comme beaucoup de stars de téléréalité en réalité et donc du coup elle a essayé

05:01de s'en émanciper, elle fait aujourd'hui ce que beaucoup d'anciens stars de téléréalité

05:05font, c'est-à-dire de l'influence sur Internet.

05:07Mais elle souffre encore de cette image-là justement parce que quand elle a fait ses

05:10premiers, ce qu'on appelle les BookTok, donc des revues littéraires sur TikTok.

05:14C'est du club de lecture en réseau.

05:16Exactement, elle a quand même subi une vague de haine assez importante justement parce

05:22qu'on lui disait « mais ce n'est pas de la bonne littérature ce que tu proposes ».

05:24Je crois que c'était Paulo Coelho notamment, l'alchimiste qu'elle conseillait, et donc

05:27c'était « non mais ça c'est de la littérature de gars ». Il y avait quand même une forme

05:30de mépris de classe.

05:31On est au croisement du mépris de classe, du racisme, du sexisme, etc.

05:35Vous-même vous avez subi du cyberharcèlement beaucoup.

05:37Je ne fais que ça, c'est l'histoire de ma vie de vivre du cyberharcèlement.

05:40J'ai quitté Twitter d'ailleurs à cause de ça depuis 2021 parce que j'ai fait plusieurs

05:44choses.

05:45Je suis très présente moi sur Instagram, j'ai une très forte communauté et à chaque

05:50fois que je crée du contenu ou que j'interviens dans des médias, je peux effectivement être

05:54confrontée à des vagues de haine assez marquantes.

05:57J'en avais une pour mon premier livre, il y en a une quand j'ai parlé de la place

06:00des femmes dans le sport.

06:01Vraiment, il y en a une tous les quatre matins.

06:02Si j'insulte, c'est qu'il est hater.

06:05Mais le propre de ces haters, c'est qu'ils n'ont pas d'identité, c'est-à-dire que

06:09ça peut être aussi bien des hommes que des femmes.

06:11Ça me choque encore plus quand ce sont des personnes concernées par mes propos parce

06:16que j'ai un propos féministe engagé et très prononcé chez moi.

06:21C'est vraiment mon engagement propre et je suis toujours très surprise quand ça vient

06:24de la rivalité féminine, c'est-à-dire de cette construction-là qu'il faut qu'on

06:27se batte entre nous pour une seule place.

06:29Et aussi, ce que j'ai beaucoup eu, c'est « mais elle est là pour son physique, elle

06:33est là parce qu'elle est juste belle ». Et pour quelqu'un qui a fait des études

06:35et qui a tout mis dans ses études, c'est quelque chose qui est très frappant.

06:39Mais le livre, pour vous, c'est cet espace sans corps.

06:42Exactement.

06:43C'est pour ça que vous y retournez, parce que c'est là où vous avez l'impression

06:45de pouvoir vous exprimer sans qu'on dise autre chose.

06:47Il y a un phénomène très étonnant dont vous parlez aussi, c'est l'Arab Fishing

06:50dans la télé-réalité.

06:51C'est quoi ? Expliquez-nous.

06:52Alors l'Arab Fishing, c'est justement… La théorété est un endroit assez spécifique,

06:56c'est-à-dire qu'il y a des corps racisés sans qu'on parle de l'identité raciale.

06:59Donc on va y avoir par exemple beaucoup de femmes maghrébines, c'est un des espaces

07:02médiatiques où elles sont les plus présentes, mais sans être présentées avec cette ethnie-là.

07:05Et du coup, ce qu'on observe, c'est qu'il y a une tendance de la femme maghrébine

07:09en télé-réalité.

07:10C'est-à-dire que c'est un corps qui est esthétisé, qui est rendu acceptable, qui

07:14est rendu même enviable.

07:15C'est-à-dire, c'est un canon.

07:16Exactement.

07:17Et donc, ce qui s'est passé, c'est que des candidates qui ne sont pas maghrébines,

07:20qui sont des femmes blanches, notamment Marie Germain et Charlotte Germain, qui se sont

07:24appelées Mila Jasmine et Safia Alba, et qui donc se sont fait passer pour des femmes maghrébines

07:29justement pour toucher cette audience-là et pour surfer sur Jasmine dans Aladin, etc.

07:35Et tous les clichés dont vous parliez au début.

07:36Les photos à Dubaï, etc.

07:37Donc, c'est purement de l'appropriation culturelle, c'est-à-dire prendre une identité

07:43comme un costume, comme un déguisement, sans évidemment vivre les discriminations

07:46qu'il peut y avoir derrière.

07:48Alors qu'elle est subie par d'autres.

07:49Je rappelle que vous avez été vous-même dans la pop culture, puisque vous êtes finaliste

07:52du grand jeu de télé sur Canal+, Loup-Garou, vous y avez beaucoup joué vous-même dans

07:57les bars à Chicha et vous êtes finaliste grâce justement à vos expériences sur les

08:01plateaux télé en milieu hostile.

08:03Ça vous a aidé ?

08:04Ben c'est ça.

08:05Totalement.

08:06Et puis quelle expérience sociologique incroyable, parce qu'il y avait quand même un ancien

08:07espion de la DGSE que j'ai éliminé, donc c'est ma petite fierté de ne pas représenter

08:12le métier au moins là-dessus.

08:14Bravo Nesrin Slaoui.

08:16« Notre dignité, un féminisme pour les maghrébines en milieu hostile », c'est publié chez

08:21Stock.

08:22Et puis vous partez pour l'ONU à Genève remettre le prix du combat contre le cybersexisme

08:26dans le cadre du Young Activist Summit.

08:28Bonne route.

08:29Merci beaucoup pour l'invitation.

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