• il y a 2 semaines
Depuis quelques semaines a lieu le procès dit “des viols de Mazan”. Dominique Pélicot est accusé d’avoir drogué et violé sa femme pendant 10 ans, auprès de 50 coaccusés.
Victoire Tuaillon, journaliste et autrice, revient sur ce procès hors-normes, sur les racines de la masculinité et du patriarcat. Elle analyse les rapports de domination hommes-femmes dans la société qui se retrouvent au coeur de cette affaire.

Retrouvez ses podcasts “Les couilles sur la table” et “Le coeur sur la table” sur toutes les plateformes.

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Transcription
00:00Vous devez, en tant qu'homme hétérosexuel,
00:01vous sentir très concerné par ce qui se passe au procès de Mazan,
00:04parce qu'on parle aussi, quelque part, de vous.
00:07Ça ne veut pas dire que je pense que tous les hommes soient coupables,
00:09que tous les hommes soient des violeurs.
00:11Ça veut dire, par contre, que ce qu'il se passe là-bas
00:14raconte quelque chose de ce qu'est la masculinité
00:16et de ce que sont les relations entre les hommes et les femmes dans ce pays.
00:20C'est-à-dire qu'il faut se poser sincèrement et honnêtement la question de qu'est-ce qui fait
00:25que dans un si petit village, en si peu de temps,
00:28un homme ait pu aussi facilement convaincre des dizaines d'autres hommes,
00:31les 50 co-accusés mais aussi la trentaine qui n'ont pas été attrapés,
00:34de venir pénétrer dans son sommeil une femme à qui ils n'ont jamais adressé la parole,
00:38dont ils ne se sont absolument pas assurés du consentement
00:40et qui est, selon certains récits, comme morte sur ces vidéos.
00:44Qu'est-ce qui fait que pour autant d'hommes, ça leur ait semblé normal ?
00:48C'est en ça qu'on dit que ça concerne la masculinité,
00:50parce que ces gars ne sont pas des monstres.
00:52Ils ne sortent pas de nulle part.
00:54On ne peut pas expliquer ça par une maladie mentale ou par une pathologie.
00:57En fait, ils sont à un degré un peu extrême de comportement, de fantasme,
01:02qui sont très courants chez beaucoup d'hommes.
01:03Dans l'érotisation de la domination, le fait que beaucoup d'hommes trouvent
01:07qu'en fait, ce qui est excitant, c'est de contraindre, c'est de dominer,
01:10mais c'est aussi d'avoir des relations avec des femmes qui sont traitées comme des objets,
01:14donc à qui on ne parle pas, qui n'ont pas d'opinion, qui n'ont pas d'avis,
01:18qui sont des corps à disposition,
01:20pour reprendre une expression de la philosophe Camille Froidvaux-Métry.
01:23Et en cela, les comportements de ces accusés ne sont pas si différents
01:27de ce que font beaucoup d'hommes,
01:29qui ne se soucient absolument pas du consentement des femmes
01:31avec qui ils ont des relations sexuelles,
01:33beaucoup d'hommes qui considèrent que puisque c'est leur femme,
01:36puisque c'est leur copine,
01:37ils ont bien le droit de faire ce qu'ils veulent avec leur corps,
01:41de beaucoup d'hommes qui considèrent que les femmes leur doivent du sexe.
01:44Ça ne prend pas forcément la forme du crime,
01:47des crimes qui ont été commis à Mazan, ça prend d'autres formes.
01:50Et en ça, tous les hommes hétéros devraient s'interroger sur ce qui fait
01:54que ces bons gars, que ces gars sympas qui sont entourés,
01:57qui ont des familles, des amis, etc.,
01:59se sentent tellement autorisés à avoir fait ça.
02:02Et ça, c'est une question qui se pose à l'état des relations homme-femme dans ce pays.
02:06On doit prendre cette question-là très au sérieux.
02:08Et donc, c'est comme ça que dans les affaires de violences sexuelles,
02:11il est très très fréquent que les hommes s'apitoient sur leur sort,
02:14se convaincent que ce sont eux les victimes.
02:16Ça, on l'entend à l'audience, à en croire les journalistes,
02:18ils vont dire des choses comme
02:19« Mais c'est terrible, cette étiquette qu'on me colle sur le dos,
02:22vous ne vous rendez pas compte à quel point ma vie est devenue maintenant très difficile,
02:25je ne suis pas comme ça, c'est injuste ce qui m'arrive. »
02:27Et donc, en fait, on voit qu'ils sont beaucoup plus désolés
02:30pour les conséquences que leur acte a eues sur eux
02:32que les conséquences que leur acte a eues sur la personne qu'ils ont agressée.
02:36Et ça, encore une fois, ce n'est pas spécifique à Mazan,
02:38c'est très très fréquent dans tous les cas de violences sexuelles
02:40et on voit vraiment une incapacité à se mettre à la place
02:43des victimes qui sont très souvent des femmes.
02:45L'autrice Virginie Despens disait « Les hommes ne violent pas,
02:47eux, ce qu'ils font, c'est toujours autre chose.
02:49Eux, ils appellent ça autrement,
02:50alors ils disent qu'ils ont un peu déconné,
02:52qu'en fait, ils ne savaient pas, qu'ils ne s'en sont pas rendus compte, etc.
02:55Mais en fait, ce qu'ils font, c'est du viol.
02:56Et ce que font les accusés du procès Mazan,
02:58parce qu'en fait, la très grande majorité d'entre eux a décidé de plaider non coupable,
03:02c'est de nier le viol, donc d'expliquer qu'ils ne savaient pas,
03:05qu'ils ont été manipulés,
03:07qu'en fait, ce qu'ils ont fait, c'était autre chose, etc.
03:08Et ça, c'est très très classique dans les procès de violences sexuelles.
03:11Comme évidemment, l'image du violeur,
03:13ça reste l'image très pratique d'un inconnu, fou, furieux,
03:16armé d'un couteau dans un parking,
03:18beaucoup d'hommes vont dire,
03:19ah mais non, mais moi, je ne ressemble pas à ça,
03:20dans ce que j'ai fait, ça n'est pas ça.
03:22Et en cela, ils ne sont pas aidés souvent par les avocats de la défense
03:25qui préfèrent les entretenir, en fait, dans ce déni,
03:28et les entretenir dans une déresponsabilisation.
03:30Par exemple, dans le cas du procès Mazan,
03:32on entend des avocats de la défense se référer à ces hommes mûrs,
03:34qui sont pour la plupart pères de famille,
03:37très insérés dans la société,
03:38ils parlent d'eux comme des garçons,
03:40donc avec un terme infantilisant,
03:42qu'ils les dédouanent, qu'ils les déresponsabilisent,
03:44comme s'ils avaient fait une bêtise.
03:45On n'est pas du tout sévère pour les violences sexuelles dans ce pays,
03:49on est très laxistes, avec des exceptions,
03:51c'est-à-dire qu'évidemment,
03:52tous les hommes ne sont pas traités de la même façon,
03:54selon qu'ils soient blancs ou qu'ils soient perçus comme racisés,
03:57qu'ils soient pauvres ou qu'ils soient perçus comme riches.
03:59Plus vous êtes en situation de domination
04:00et plus on est tolérant avec vous sur les crimes que vous commettez,
04:04sur les violences que vous infligez.
04:06Ce qui est choquant pour le grand public qui suit cette affaire,
04:08c'est que, comme dans énormément de procès pour viol et pour violences sexuelles,
04:12les avocats de la défense,
04:14donc les avocats qui sont chargés de défendre les accusés,
04:16se montrent apparemment très incisifs,
04:19voire très agressifs avec la plaignante Gisèle Pellicot.
04:23Notamment, et ça on le voit très souvent dans les procès pour viol,
04:25en lui posant de très nombreuses questions sur ses pratiques sexuelles,
04:29en insinuant qu'elle était consentante.
04:31On a entendu rapporter des phrases comme
04:33« Mais madame, vous n'auriez pas des penchants exhibitionnistes
04:35que vous n'assumeriez pas ? » par exemple,
04:37non seulement pendant l'audience,
04:38mais aussi des déclarations des avocats de la défense en sortie d'audience,
04:41donc des commentaires qui, par exemple, vont se permettre de dire
04:44« Il y a viol et viol. »
04:46Sous-entendu, il y a des viols plus graves que d'autres,
04:49il y a des vrais viols et des faux viols,
04:51en essayant de faire croire que si on n'a pas l'intention de violer quelqu'un,
04:54alors il n'y a pas de viol.
04:55Quand on est victime d'un viol, d'une agression sexuelle, d'un crime,
05:00il y a une première victimisation qui sont ces faits-là,
05:02mais il y a la façon dont on va être traité ensuite,
05:05par les institutions médicales, policières, judiciaires,
05:09qui peuvent provoquer ce qu'on appelle une victimisation secondaire.
05:12C'est ce qui fait qu'il y a beaucoup de plaignantes,
05:14dans les affaires de violences sexuelles notamment,
05:16qui disent qu'en fait, ce qui a été le plus éprouvant pour elles,
05:19aussi surprenant que ça puisse être,
05:21ce n'est pas tant le crime en lui-même,
05:23bien qu'il était horrible,
05:24mais c'est la façon dont les institutions médicales,
05:26policières, judiciaires les ont traités.
05:28Donc Gisèle Pellicot, la plaignante, aurait dit pendant le procès
05:31« Mais en fait, j'ai l'impression que c'est moi qui suis coupable,
05:34c'est moi qui suis l'accusé. »
05:35En fait, même si les moyens de la défense sont libres,
05:37on ne peut pas poser n'importe quelle question,
05:38sur n'importe quel ton évidemment, aux plaignantes.
05:41Il y a de très nombreux textes internationaux et européens,
05:44je pense à la Convention d'Istanbul par exemple,
05:46qui est un texte que la France a signé,
05:48donc elle est censée respecter,
05:49qui dit qu'on ne peut pas poser,
05:51dans les affaires de violences sexistes et sexuelles,
05:52des questions aux victimes sur son passé sexuel,
05:55ses pratiques, ses tenues, etc.,
05:58que si c'est très pertinent et qu'on doit le faire avec délicatesse.
06:01Et donc ça, ce sont des choses qui ne sont pas très souvent respectées
06:04dans les tribunaux et dans les procédures dans les violences sexuelles.
06:08Il y a beaucoup de juristes, de militantes, d'avocates féministes,
06:12qui disent que, bien sûr,
06:13que les procès pour violences sexuelles
06:15n'ont pas à être d'une telle violence pour les victimes,
06:17il n'est pas utile de rajouter de la peine à la peine.
06:19En ça, on peut s'inspirer de la façon dont ça se passe dans d'autres pays,
06:22notamment au Canada,
06:24même si le système juridique canadien est très différent d'une autre.
06:26Ça fait très longtemps qu'au Canada, ça fait plus de 30 ans en fait,
06:29qu'ils ont décidé de s'attaquer à la culture du viol
06:31et à la culture du viol qui a lieu aussi dans les institutions judiciaires.
06:34En créant des pratiques, en créant des textes
06:37qui empêchent les avocats, les procureurs de poser des questions
06:41qui font appel à des mythes et à des stéréotypes.
06:43Vous ne pouvez pas insinuer, par exemple,
06:45que puisque la plaignante avait accepté un jour
06:48d'avoir une relation sexuelle avec cette personne,
06:49alors elle aurait dû être d'accord pour les suivantes.
06:52Par exemple, vous ne pouvez pas dérouler toute la vie sexuelle de la victime
06:54pour montrer, comme c'est très souvent le cas dans les procès ici,
06:56qu'en fait, quelque part, c'est un peu une traînée,
06:59elle l'avait un peu cherchée.
07:00Vous ne pouvez pas faire appel à des préjugés
07:02sur ce qu'est un vrai viol, ce qu'est une vraie victime
07:05ou sur comment devrait se comporter, en théorie, une victime de viol.
07:07Ce qui donne des procès beaucoup plus rigoureux
07:09et moins violents aussi pour les plaignants.
07:11Donc ça donne lieu à une justice de meilleure qualité.
07:13Parce que c'est ça aussi que disent les féministes,
07:15c'est que là, la justice n'est pas à la hauteur de l'enjeu,
07:17on a le droit à une justice de meilleure qualité.

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