Allemagne : retour des contrôles aux frontières, pourquoi maintenant ?

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00:00Et on va plus loin avec notre invitée Tania Rachaud, bonjour, merci de répondre à France 24.
00:04Vous êtes chercheuse en droit européen et membre du site Désinfox Migrations,
00:10ou Migration, est-ce que vous y voyez une manœuvre politique
00:15destinée aux électeurs de l'extrême droite, je le disais,
00:19l'AFD notamment est en forte ascension dans les régions de l'Est en Allemagne ?
00:25Oui, vous avez tout à fait raison, puisque dans le reportage il était mentionné par exemple
00:29les difficultés potentielles avec la frontière française,
00:32mais en réalité l'Allemagne avait annoncé depuis juillet de cette année
00:37la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures avec la France
00:41depuis mars dernier avec la Pologne, la République tchèque ou la Suisse.
00:44Donc la réalité c'est qu'il n'y a pas une énorme innovation,
00:48si ce n'est peut-être que l'annonce actuelle va compléter les différentes frontières
00:55et donc ce qui fait qu'aujourd'hui toutes les frontières sont concernées par cette notification.
00:59Mais pourquoi maintenant particulièrement ?
01:02Comme vous l'avez mentionné, parce qu'il y a des élections régionales en Allemagne en ce moment,
01:07les élections se font dans différentes régions,
01:11et tout récemment on a vu que l'extrême droite l'a emporté,
01:15et dimanche prochain il y a un nouveau tour d'élections,
01:18et l'objectif c'est évidemment de faire en sorte que l'extrême droite ne l'emporte pas à nouveau.
01:22Mais donc pour le faire, ici ce que fait l'Allemagne et ce que font d'autres pays,
01:27le Danemark, la France, l'Autriche,
01:30c'est instrumentaliser le sujet de la migration à des fins électorales,
01:35et c'est très dangereux évidemment,
01:36puisqu'il y a une population qui va quand même subir toutes ces mesures et toutes ces décisions,
01:40et qui se voit encore stigmatisé par cette démarche.
01:45D'ailleurs, excusez-moi Tania Rachaud, mais dans les faits,
01:47Berlin dit vouloir mettre en place un contrôle intelligent.
01:50Qu'est-ce que ça veut dire ? Qu'est-ce que ça sous-entend ?
01:54La réalité du contrôle aux frontières fait qu'aujourd'hui,
01:57ce n'est pas possible de contrôler strictement toutes les personnes
02:01qui vont passer à des frontières,
02:04parce qu'il n'y a pas de moyens humains en fait.
02:06Ça fait un moment que Schengen existe,
02:08donc il n'y a plus les gardes-frontières, il n'y a plus les infrastructures,
02:11et en plus ces contrôles sont supposés durer six mois.
02:15Donc ce n'est pas possible d'allouer une force plus permanente aux frontières.
02:19De toute façon, il est nécessaire d'avoir un contrôle aléatoire.
02:22Il y a eu une réforme du code frontière Schengen cette année, en mai dernier,
02:27et qui justement permet aux États maintenant de pouvoir procéder à des contrôles
02:34pour des questions de lutte contre l'immigration irrégulière.
02:37Ça, ça a beaucoup inquiété les associations,
02:39et c'est probablement ce qui est aussi derrière cette idée de contrôle intelligent,
02:43puisque finalement, on peut se poser la question,
02:46comment est-ce qu'un contrôle peut se faire sur des motifs de migration,
02:50si ce n'est avec, malheureusement, un contrôle au faciès ?
02:54Donc vous nous dites qu'il n'y aura pas d'efficacité sur l'immigration illégale.
03:02Est-ce que l'Allemagne est dans son droit ?
03:05Le sujet nous le rappelait, on peut rétablir des contrôles aux frontières
03:09s'il y a des circonstances exceptionnelles.
03:11Quelles sont-elles ?
03:12Tout à fait.
03:13Ça a toujours été possible dès le début de la création de l'espace Schengen.
03:16Il a toujours été question de pouvoir réintroduire temporairement
03:19des contrôles aux frontières intérieures pour des motifs de sécurité intérieure.
03:23Donc évidemment, à chaque fois qu'il y a des actes terroristes,
03:26les États vont s'en saisir.
03:28La France, depuis 2015, tous les six mois,
03:31annonce de façon continue le contrôle à toutes ces frontières intérieures
03:36pour des motifs qui changent un petit peu,
03:39effectivement des questions liées aux actes terrorisme
03:43ou à la question de la lutte contre la politique migratoire
03:47ou plus récemment pour contrôler les frontières en lien avec les Jeux olympiques.
03:51Donc c'est possible, c'est possible dans un cadre normalement
03:54qui est de notification pour une durée de six mois
03:57qui peut être renouvelée jusqu'à une durée maximale de trois ans
04:01depuis la dernière réforme du code frontière Schengen.
04:03Berlin, l'Allemagne se dit saturée.
04:06On parle de deux millions de migrants supplémentaires depuis 2015, il me semble.
04:13Et les autorités veulent mettre la pression sur les pays qui accueillent en premier ces migrants,
04:20que ce soit l'Allemagne, l'Italie par exemple, l'Espagne.
04:25C'est le fameux accord de Dublin dont on parle depuis une dizaine d'années maintenant
04:30et qu'on dit dépasser.
04:32Et là, on le voit aujourd'hui, ça ne marche pas.
04:34Non, clairement ça ne fonctionne pas.
04:36En réalité, toutes ces personnes dont on parle,
04:38ce sont des demandeuses ou demandeurs d'asile
04:41qui ont donc vocation à devenir des futurs réfugiés.
04:44Et donc la réglementation fait qu'une personne qui se dit en demande d'asile
04:48doit être accueillie.
04:50Et l'Union européenne a mis en commun ces règles,
04:54ce qui fait qu'il faut désigner un pays
04:57qui traite de la demande d'asile pour les autres.
05:00Et la réalité de la réglementation du Dublin que vous avez mentionné
05:05implique l'application d'un critère de premier pays d'arrivée.
05:08Donc ça veut dire que finalement, la plupart des personnes qui demandent l'asile
05:11devraient être traitées en Italie ou en Grèce.
05:14Sauf que les moyens dans ces deux pays pour traiter les demandes d'asile
05:18sont complètement défaillants.
05:20Ce qui fait que l'Italie par exemple, qui est un premier pays d'arrivée,
05:23compte à peu près 40 000 demandes d'asile par an,
05:26contrairement aux 150 000 françaises.
05:29Donc on voit bien que la défaillance de l'Italie fait que les personnes
05:31continuent leur trajet dans l'Union européenne
05:34et s'installent finalement en France ou en Allemagne,
05:36qui ne renvoient pas ensuite.
05:38Et c'est là où l'Allemagne a du mal à vouloir jouer encore le jeu,
05:41puisqu'elle estime que les autres pays, comme l'Italie,
05:44devraient aussi accueillir davantage.
05:46Et du coup, il y a cette tentation à l'externalisation,
05:49comme l'ont proposé les conservateurs britanniques pour le Rwanda.
05:54En gros, les migrants qui sont illégaux seraient renvoyés à Kigali,
05:58qui gérerait et traiterait leurs demandes d'asile.
06:01Sauf que finalement, ça a été remisé,
06:04puisque les travaillistes sont arrivés au pouvoir.
06:07Et il y a cette tendance là.
06:09Les Italiens, par exemple, sont en train de travailler
06:11avec les Albanais sur ce sujet.
06:13Oui, alors là, c'est toujours dans le traitement
06:15des personnes qui se disent en demande d'asile,
06:17puisque c'est toujours à l'égard de ces personnes-là
06:19qu'il y a une obligation d'accueil, d'accueil digne,
06:23et d'étude de la demande d'asile.
06:26Et donc, l'idée de l'Italie, l'idée du Royaume-Uni,
06:28c'était de dire, nous traitons ces demandes,
06:33mais nous ne les accueillons pas sur notre territoire.
06:35Nous les délocalisons sur un autre territoire.
06:38Alors, le Royaume-Uni, c'était assez extrême,
06:40puisque les personnes étaient supposées de toute façon
06:42rester au Rwanda par la suite, qu'elles deviennent réfugiées ou non.
06:45Alors que dans le cas de l'Italie avec l'Albanie,
06:47l'idée, c'est de délocaliser le traitement dans un premier temps,
06:50et éventuellement de reprendre les personnes qui seraient réfugiées.
06:53Donc, une forme de tri.
06:55Ce que ça donne comme impression, c'est que les systèmes sont débordés.
06:59C'est vrai, les systèmes sont débordés,
07:01mais est-ce qu'ils sont débordés par le nombre de personnes qui arrivent,
07:04ou est-ce qu'ils sont débordés par l'absence d'investissement dans les infrastructures ?
07:08La réalité de la migration en situation irrégulière,
07:10c'est à peu près 300 000 personnes
07:13à toutes les frontières extérieures de toute l'Union européenne,
07:16qui compte 500 millions de citoyens européens.
07:19Donc, si vous voulez, c'est une fraction très faible de la population européenne,
07:24mais qui, pour autant, ne trouve pas de réalité face à cette obligation d'accueil.
07:29Donc, en fait, tout simplement, les États n'investissent pas
07:32dans des hébergements pour les demandeuses et les demandeurs d'asile,
07:35ne souhaitent pas le faire,
07:37et donc réfléchissent à d'autres types de solutions.
07:40Et ça engendre des situations dramatiques.
07:42Ce sera ma dernière question.
07:44Les Allemands ont brisé un tabou en renvoyant une trentaine d'Afghans
07:47qui ont été condamnés par les talibans.
07:50Est-ce que ces politiques de retour sont encadrées au niveau européen ?
07:55Oui, elles sont encadrées par la Convention européenne de l'ordre de l'Homme
07:59et aussi par la Chambre des droits fondamentaux de l'Union européenne,
08:02qui interdit de faire poser sur une personne
08:06un risque de torture, de traitement inhumain ou dégradant.
08:09Et dans un cas de retour d'une personne vers un pays qui torture,
08:15tout simplement, comme l'Amérique du Nord…
08:16Qui ne garantit pas la sécurité.
08:18Exactement, c'est une violation des textes européens.
08:21Effectivement, vous l'avez dit, je ne sais pas si c'est la levée d'un tabou,
08:24mais en tout cas, c'est une position qui est frontalement contraire
08:28aux droits fondamentaux qui sont affirmés dans l'Union européenne
08:31et dans la Convention européenne de droit de l'Homme.
08:33Je voulais dire briser un tabou parce que c'est inédit.
08:35Merci en tout cas, Tania Rachaud, d'avoir répondu à nos questions.
08:38C'était très clair, chercheuse en droit européen.
08:40Et je rappelle le site pour lequel vous collaborez,
08:43Désintox Migration.

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