Le partie d'extrême droite AfD pressenti vainqueur dans deux élections régionales allemandes
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00:00Et avec nous, Emmanuel Droit, bonjour, merci d'être sur l'antenne de France 24.
00:06Vous êtes historien, professeur à Sciences Po Strasbourg et vous avez consacré un certain
00:11nombre de travaux à la dénazification de l'Allemagne, vous suivrez évidemment ces
00:16élections de ce dimanche.
00:17Qu'est-ce qui, à votre avis, fait le succès préélectoral, si l'on en croit les sondages,
00:23d'un parti comme l'AFD ?
00:25Alors, ce qui fait le succès préélectoral d'un parti populiste et extrémiste comme
00:31l'AFD, j'ai envie de vous dire que ce n'est pas uniquement le contexte ou la conjoncture
00:37liée au drame de Zollingen, ça fait dix ans et même peut-être encore un peu plus
00:43qu'une culture de la protestation s'est cristallisée et s'est développée dans les régions de
00:52l'Allemagne de l'Est, avec des figures à la fois charismatiques et très clivantes
00:57comme le leader de Thuringe, Björn Höcke, et ces partis populistes cultivent cette protestation
01:05autour de quelques grands thèmes que votre reporter a bien rappelés, c'est-à-dire
01:11la lutte contre l'immigration, et puis ils surfent aussi sur cette frustration qui est
01:17aussi le résultat d'un certain nombre de facteurs socio-économiques liés à la réunification.
01:24Donc, ça remonte maintenant à plus d'une trentaine d'années.
01:27Donc, vous voyez, il y a des effets de moyenne durée qui permettent à l'AFD, aujourd'hui,
01:33d'être en capacité de remporter des élections régionales.
01:38Et pardonnez-moi, comment expliquer cette sorte de dichotomie entre l'Est de l'Allemagne
01:46et l'Ouest, malgré les efforts massifs de la République fédérale ?
01:50Oui, je pense que tous ceux qui connaissent l'Allemagne peuvent se rendre compte que
01:53des efforts financiers et de transferts financiers ont été réalisés de manière extraordinaire
02:01depuis le début des années 90.
02:03Le système autoroutier, ferroviaire est bien plus moderne, les centres-villes des villes
02:09de l'Allemagne de l'Est sont bien plus propres et bien plus jolis.
02:12Mais en même temps, il y a quelque chose qui a été raté depuis le début des années
02:1790, c'est-à-dire qu'il ne suffisait pas de transférer une certaine culture politique
02:23des institutions et du personnel de l'Ouest vers l'Est.
02:27Il y a eu une méconnaissance des 40 années de socialisation de l'époque de la RDA.
02:35Et donc, vous avez des cultures politiques qui sont différentes et des partis politiques
02:38qui sont aussi implantés de manière très différente.
02:40Emmanuel Droit, dans le sujet qu'on a diffusé il y a quelques instants, on entend quelqu'un
02:45dire que le fascisme n'a pas sa place en Allemagne, parlant de l'AFD.
02:50C'est un parti fasciste, effectivement, au sens historique du terme ?
02:54Alors, c'est une bonne question.
02:57Ce n'est pas un parti fasciste au sens historique du terme.
03:01Ce qu'a voulu dire la députée que votre reporter a interviewée, c'est qu'elle cherche
03:08à réactiver un front, on appellerait chez nous le front républicain.
03:13En Allemagne, on parlerait de front antifasciste.
03:17Encore que la notion d'antifascisme en Allemagne de l'Ouest est perçue de manière négative
03:22puisqu'elle a été détournée à l'époque de la RDA pour devenir une idéologie d'État.
03:27Donc, quand vous parlez d'antifascisme à l'Est, ça parle aux personnes qui habitent
03:33l'Allemagne de l'Est.
03:34C'est vu de manière beaucoup plus négative à l'Ouest.
03:36Donc, front antifasciste, ça veut dire tout simplement front démocratique par rapport
03:40à un parti qui, en effet, est un parti d'extrême droite, qui est dangereux pour la démocratie
03:45allemande et qui menace l'ordre démocratique tel que l'Allemagne l'a mis en place depuis
03:54la fin de la Seconde Guerre mondiale.
03:55Et parallèlement à la FD, il y a ce parti de Zara Wagenknecht, issue de la gauche, devenue
04:02une militante anti-immigration assez vigilante.
04:04Que vous inspire ce personnage, Emmanuel Droit ?
04:08Alors, j'ai envie de dire, c'est un redoutable animal politique, Zara Wagenknecht.
04:13Pour ceux qui connaissent l'Allemagne, c'est une figure politique qui est présente sur
04:17la scène de manière très régulière depuis une trentaine, quarantaine d'années.
04:22Il ne faut jamais oublier que c'était l'ancienne compagne d'Oscar Lafontaine, le leader politique
04:28qui a fondé le parti Die Linke.
04:30Et donc, elle réussit en Allemagne de l'Est, sur des thématiques sociales et identitaires,
04:37à capitaliser et surtout à siphonner les voix de son ancien parti.
04:42Puisque je vous rappelle que dans une région comme la Saxe, le parti Die Linke, son ancien
04:48parti, est menacé de disparition alors qu'au début des années 2000, c'était le parti
04:52qui captait justement cette culture de la protestation en Allemagne de l'Est.
04:56On va parler du chancelier Scholz, de sa coalition.
04:59Tout de suite après le drame de Zollingen, Olaf Scholz a annoncé un renforcement des
05:03lois anti-immigration.
05:04Il n'a pas eu d'autre choix que de courir après l'extrême droite ?
05:07Malheureusement, quand on ne s'occupe pas des problèmes, c'est sûr que derrière,
05:14avec la pression médiatique d'un drame comme celui de Zollingen, vu le contexte,
05:20on court après l'extrême droite.
05:22Les électeurs, qui sont des électeurs très volatiles en Allemagne de l'Est, dans leur
05:29comportement électoral, ne s'y trompent pas, c'est-à-dire qu'ils vont infliger un
05:32carton rouge très sévère au parti du chancelier.
05:36Le chancelier a obtenu d'excellents résultats dans les Länder de l'Est lors des élections
05:39législatives il y a quatre ans.
05:41Et là, il va être sanctionné parce que les gens considèrent qu'il ne s'occupe pas
05:45de ces problèmes.
05:46Donc le SPD est menacé même de disparition, c'est-à-dire qu'il risque de ne pas franchir
05:51la barre des 5% pour rentrer dans les parlements régionaux de Thuringe et de Saxe.
05:57Mais ce qui renvoie aussi à un autre problème du SPD, et pas seulement de la politique actuelle
06:01du chancelier, c'est la faible implantation de ce parti, comme celui des Verts.
06:05Si vous allez un petit peu dans les petites villes moyennes d'Allemagne de l'Est, les
06:09seuls grands partis qui sont représentés avec des antennes, avec des bureaux, malheureusement,
06:15c'est celui de l'AfD, très présent.
06:16Et puis la CDU qui reste quand même en Saxe un bastion de la démocratie depuis le début
06:22des années 90.
06:23Et rapidement Emmanuel Dua, si cette sanction se confirme, on peut dire que cela n'augure
06:28rien de bon pour les élections fédérales de l'année prochaine ?
06:31Alors c'est là où il faut un tout petit peu nuancer les choses, c'est-à-dire que
06:35des partis comme l'AfD et le parti de l'alliance Zara Wagenknecht pèsent très lourd en Allemagne
06:40de l'Est, entre un cinquième et un tiers des voix.
06:44Quand vous prenez maintenant l'échelle de l'Allemagne fédérale, Zara Wagenknecht pèse
06:50très peu en Allemagne de l'Ouest, et l'AfD, alors elle, continue à s'implanter en Allemagne
06:55de l'Ouest, mais reste en dessous de la barre des 20%.
07:00Alors ce n'est pas un avertissement, il ne faut pas avoir une lecture nationale de ces
07:05élections régionales, mais c'est sûr que pour la coalition de l'Afscholz, ça va quand
07:10même constituer un avertissement sévère.
07:12Un test.
07:13Merci beaucoup Emmanuel Droit d'avoir été avec nous sur France 24.
07:17Historien, professeur à Sciences Po, Strasbourg, merci.