Ethique de la recherche : échapper au conformisme anglo-saxon [Yoann Bazin]
Xerfi Canal a reçu Yoann Bazin, professeur à l’EM Normandie, pour parler de l'éthique de la recherche.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
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00:00Bonjour Johan Bazin. Bonjour Jean-Philippe. Johan Bazin, vous êtes professeur à EM Normandie.
00:13Article, Revue Française de Gestion, co-écrit avec Élise Goiseau, Excelia Business School.
00:19Vers un modèle alternatif des comités d'éthique de la recherche,
00:23quel équilibre entre procédure et réflexivité ? Exactement. Quel beau titre, quel beau titre.
00:29Alors moi je rentrerai directement au nerf, d'accord, extension du domaine de la conformité.
00:34Donc les Américains et les revues américaines nous imposent maintenant pour publier des articles,
00:39d'être passé par un, comment on appelle ça, un Institutional Review Board. Voilà. Alors c'est
00:45important de dire qu'on ne va pas y couper. Donc la question c'est comment est-ce qu'on traîne ? C'est
00:50ça votre point de départ, c'est ne fermons pas les yeux, on ne va pas y couper. On ne va pas y couper
00:54quand on demande des financements internationaux, quand on soumet à des revues internationales de
01:01rang assez élevé, ça devient de plus en plus une requête. Est-ce que vous avez la lettre d'approbation
01:07de votre IRB, Institutional Review Board, ou alors est-ce que vous avez les formulaires de consentement
01:13signés de toutes les personnes avec lesquelles vous avez fait des entretiens ? Donc ça on ne va
01:18pas y couper. La question c'est, et qu'on s'est posé avec Élise, c'est comment est-ce qu'on fait
01:22pour faire un peu de judo institutionnel, c'est de ne pas être dans un isomorphisme trop conforme,
01:28et de prendre ça à l'intérieur d'un système plus vaste. Alors pour comprendre quand même, ces fameuses
01:34Institutional Review Board, ça fait suite à un certain nombre de scandales, et on a tous en tête
01:39dans la période actuelle les débats autour de Didier Raoult, de l'hydroxychloroquine, du test
01:45clinique sauvage, qui a donné martière à une tribune de médecins, 30 000 personnes. Donc l'éthique
01:51devient le sujet majeur en recherche. Et d'ailleurs l'émergence de cette question de l'éthique de la
01:58recherche vient de scandales. Il y a l'expérience de Milgram en 61, il y aura celle de la prison de
02:04Stanford en 71, il va y avoir plusieurs cas dans lesquels... Milgram c'était la soumission à
02:08l'autorité, jusqu'à tuer potentiellement, électrocuter quelqu'un. Stanford où on enferme
02:14des étudiants, certains vont être prisonniers, d'autres vont être gardes et on a des comportements
02:18déviants. Au-delà des questions scientifiques, il y a un traitement des participants qui fait des
02:24débats. Il y a un certain nombre de collègues à cette époque, de ces gens-là, qui disent il faut
02:30qu'on ait un guide, il faut qu'on ait un peu un cadre pour tout ça. Et il va émerger de rapports
02:37successifs et de propositions successives, ce qui s'appelle la Common Rule, en gros qui est un accord
02:42autour de valeurs qu'on a toujours aujourd'hui dans l'éthique de la recherche. Le consentement
02:47libre et éclairé des participants, la bienfaisance envers les participants, notamment avec des
02:52calculs bénéfices-risques et la manière de traiter de manière juste l'ensemble des participants et
03:00des populations. Alors ça vient surtout d'études biomédicales où les enjeux peuvent être beaucoup
03:04plus forts sur des traitements avec des médicaments et l'affaire Raoult, elle amène ça, elle nous
03:11rappelle que l'éthique de la recherche c'est pas que des grands débats philosophiques, c'est aussi
03:14très concrètement est-ce qu'on peut ou ne peut pas faire ci ou ça. Donc c'est pas que de l'éthique,
03:19il y a aussi de la conformité, il y a aussi des règles et ça a une utilité extrêmement forte
03:24parce que ça permet de s'assurer qu'on traite les gens impliqués dans la recherche de la bonne
03:28manière. Le problème c'est les dérives. Oui, le problème c'est les dérives. Évidemment, tout ce
03:33qui nous vient des sciences dites exactes finit par impacter les sciences humaines et sociales,
03:37c'est là où vous nous dites on va pas y échapper dans tous les domaines, dès lors qu'on veut
03:41publier à l'international. La philosophie anglo-saxonne, pas américaine pour faire simple,
03:46c'est on respecte les procédures. Donc il faut se caler sur les procédures. Tout votre papier
03:52consiste à dire inventons une alternative. Et mettons ça en équilibre. Les procédures, un, on
03:57peut pas y couper, donc stratégiquement il faut qu'on sache comment les traiter. Deux, elles sont
04:02pas complètement absurdes. Il va y avoir un certain nombre de règles sur la confidentialité, sur le
04:07traitement des populations, par exemple quand on travaille sur des populations vulnérables. Bon,
04:13tout ça n'est pas complètement aberrant comme règle. Le problème c'est quand on réduit tout
04:17le questionnement à la conformité à des règles. Et c'est ce qu'on a tendance à faire dans ces IRB,
04:22dans ces institutional review boards, à dire on coche les cases, est-ce que vous faites ça, ça,
04:26ça et ça, sans forcément ouvrir le questionnement, ouvrir le débat qui est la nature fondamentale
04:32de l'éthique. Et donc nous, on propose de rééquilibrer dans notre modèle la question
04:37des procédures qui est nécessaire, avec celle de la réflexivité qui fait l'éthique.
04:42Deux propositions majeures qui vont faire débat. La première, il faut former, donc il faut développer
04:48une offre de formation vraiment très volontariste sur cette question de l'éthique pour les
04:54chercheurs. La deuxième, il faut mettre en place une sorte de comité national.
04:59Là où ça va faire débat, c'est à quel niveau il faut placer le comité national.
05:02Exactement, et qui va se repasser la patate chaude.
05:05Mais vous ne dites surtout pas le modèle de l'INSERM, c'est ça ?
05:08Le modèle de l'INSERM, déjà on est dans le biomédical, donc il faut faire attention. C'est
05:14sa structure qui est séduisante. Après, c'est une institution, l'INSERM, qui est énorme. Mais pour
05:20la première partie, par rapport à la formation, là ça va à priori se gérer par nécessité
05:26stratégique au niveau des institutions elles-mêmes. Parce qu'on va avoir besoin de créer cette
05:30ARB où il va falloir mettre des coups de tampon, donc il va falloir se demander quelles sont les
05:34réglementations. Il y a des choses qui sont même de l'ordre légal. Si on part par exemple au RGPD,
05:41à la gestion des données, ça c'est légal. Il va falloir faire venir des avocats, faire des
05:46formations en interne pour comprendre quels sont les enjeux et les contraintes. Les universités
05:51publiques ont les différents cadres réglementaires qui sont arrivés. Le dernier, avec la loi Jardet,
05:57impose des comités de protection des personnes. Donc il y a des règlements qui vont se faire dans
06:02chaque institution avec ces formations-là. Et puis on peut imaginer dans les institutions qu'on est
06:07des chercheurs, qu'il y ait des questions convergentes. Et qu'ils se disent bon, on travaille sur la même
06:11chose, on a les mêmes problèmes, les mêmes questionnements éthiques. Et donc il pourrait y
06:15avoir des formations spécifiques à certains courants de recherche, certaines méthodes,
06:18certains sujets de recherche. Donc ça, ça va se gérer au sein des institutions et entre les
06:24institutions en fonction des besoins. Et là, il y aura du matériau à partager évidemment, parce que
06:29clarifier le RGPD, ça va être la même chose pour toutes les universités, toutes les
06:33business schools. Donc ça, ce sera similaire. La question de notre appel à un conseil national
06:39d'éthique des sciences de gestion va être plus compliquée à mon avis.
06:42Voilà, merci beaucoup Yann Bazin.
06:44Merci Jean-Philippe.
06:48Merci à tous les partenaires de l'Université d'Ottawa.