Alors que le prix de la tonne de cacao atteint les 10 000 dollars, franceinfo s’est rendu au cœur d’une plantation de cacao en Côte d’Ivoire. Le pays est le premier producteur de cacao au monde, et si les prix explosent sur les marchés, tout au début de la chaîne, les petits producteurs vivent encore dans une grande pauvreté
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00:00Le cacao, c'est ça, le blanc mange.
00:04C'est étonnant, quoi.
00:05Quand on mange du chocolat, on importe de la pauvreté.
00:10Ça fait un l'air !
00:22Salut, vous avez dû le voir,
00:24le prix d'une tonne de cacao est passé au-dessus des 10 000 $.
00:27Et 10 000 $, c'est plus cher que le prix d'une tonne de cuivre.
00:31En fait, le cours est à son niveau le plus élevé depuis les années 70.
00:35Donc nous, ce qu'on vous propose, c'est de venir avec nous,
00:37on va faire une plongée au cœur d'une plantation de cacaoillers
00:41pour aller voir tout au bout de la chaîne,
00:42pour comprendre comment vivent ces petits producteurs
00:45qui, à 80 % d'entre eux, vivent encore en dessous du seuil de pauvreté.
00:49On le rappelle, c'est moins d'un dollar par jour.
00:52Notre guide sur place, c'était Annie Cett,
00:54elle est chef de projet pour l'entreprise Sobegrin.
00:57Nestlé paye Sobegrin pour accompagner les agriculteurs
01:00face à ces différentes problématiques
01:02et aussi, il faut bien le dire, pour augmenter ses rendements.
01:05C'est ça.
01:06Et nous donc, on avait rendez-vous avec elle à Gagnois,
01:08une ville majeure dans la culture du cacao
01:10qui est aussi le chef-lieu de la région du Gau au nord-ouest d'Abidjan.
01:14Ensuite, après avoir parcouru des pays,
01:15on s'est rendu à Gagnois,
01:17où on avait rencontré une petite famille de cacahuètes.
01:19Ensuite, après avoir parcouru des pistes seulement pratiquables en 4x4,
01:23on a rejoint, un tout petit peu plus au nord,
01:25le village de Biakou.
01:26Exactement.
01:27Et vous allez le voir, il nous restait encore une dernière étape
01:30avant de rejoindre les plantations d'Armand et d'Zimako.
01:42Toi, tu m'emmènes ?
01:43Comment tu t'appelles ?
01:44Joel.
01:45Je peux avoir confiance en toi ?
01:45Joel.
01:46Si tu tombes !
01:49Ouh !
01:50Ouh !
01:52Ouh !
01:57Ouh !
02:05La piste, elle est serrée, elle est droite.
02:09Et la star !
02:10Ça y est, elle prend déjà trop son rôle à cœur.
02:13Non mais là, elle sent l'âme.
02:14Elle sent l'âme.
02:15Dans la caméra.
02:19Ça bosse, là.
02:20Oui.
02:21Ça a l'intérêt, surtout, de la faire...
02:23Comme ça.
02:24Ouais.
02:25Comme ça.
02:26Elle commence à se briser.
02:30Super.
02:32Tu ne la mâches pas, tu la lapes.
02:35Je la suce ?
02:36Oui.
02:36Je la mets dans la bouche et je la suce ?
02:37Oui.
02:40C'est bon ?
02:41Ouais.
02:41Il y a un côté bonbon un peu.
02:42Donc tu dois juste la laper jusqu'à ce que tu ne sentes plus la pulpe qu'il y a autour.
02:48C'est super bon.
02:49Et lui, il a croqué ?
02:50Il a croqué !
02:53Eh ouais, je me suis fait avoir.
02:54Il a croqué !
02:55Une fois qu'on a cassé la cabosse, on va la mettre dans les feuilles de bananier.
02:59Et la mettre dans cette fête enceinte, là.
03:01On va juste placer là-bas, une cuvette, un récipient, qui va permettre de réceptionner l'eau.
03:06Donc l'eau de cacao, le jus qui est issu de cette pulpe-là.
03:10Voilà.
03:12Ce jus-là, on va le consommer, on l'appelle le jus de cacao.
03:14Il est très bon.
03:16Alors évidemment, dans un pays qui est l'un des leaders économiques de l'Afrique de l'Ouest,
03:21cela représente beaucoup, le cacao.
03:23C'est 14% du PIB national.
03:2524% de la population vit directement ou indirectement du cacao.
03:31En gros, un Ivoirien sur quatre.
03:33Ce n'est pas sans conséquences pour le pays.
03:35Tout d'abord, il y a la déforestation, avec 90% des forêts originelles
03:39qui ont été rasées en un siècle.
03:41Les plantations de cacaoillers en sont bien sûr en grande partie responsables.
03:45Il y a aussi le travail des enfants sur ces parcelles.
03:48Bien sûr, le sujet est mieux pris en compte par les multinationales
03:52et par le gouvernement ivoirien.
03:54En 2020, on parlait quand même de 800.000 enfants
03:56qui travaillaient dans des plantations de cacaoillers,
03:59principalement sur l'exploitation de leurs parents.
04:02Principalement parce qu'il y a aussi un problème de traite des êtres humains,
04:06notamment pour la main-d'œuvre Burkinabé.
04:11Quand je suis venu à la plage de cacao, après le décès du vieux,
04:14c'était un héritage pour moi.
04:15J'ai juste un hectare.
04:17J'ai au moins cinq personnes que je nourris.
04:20Le travail d'enfant dans les plantations, ce n'est pas bon.
04:24L'enfant, lui, a le droit à la scolarisation, il a le droit d'aller à l'école.
04:26Il faut que l'enfant et la madame m'accompagnent pour apporter de l'eau,
04:29faire ses petites cultures, comme piment, aubergines, gombeaux.
04:33Nous, les paysans, on était tous braqués sur la cacao-culture.
04:37Ce n'était pas la meilleure solution pour l'autorité de la forêt.
04:40Par exemple, moi, j'ai mis une pocherie en marche.
04:43J'ai envie encore de faire autre chose.
04:44Mon poulailler, je tiens vraiment à ça.
04:46Jusqu'à l'année prochaine, Dieu fera grâce, je vais le faire.
04:48Le cacao, c'est ça, les Blancs mangent beaucoup.
04:52Donc, vraiment, moi, je dis à mes frères d'être heureux dans le cacao.
05:13Aïe, c'est une patate.
05:15Patate !
05:20Attends, mon âge, on ne parle pas l'âge d'une femme.
05:23En Afrique, on ne parle pas l'âge d'une femme.
05:25Ça ne se fait pas !
05:26Salut !
05:27Le programme accélérateur de l'université a quatre piliers.
05:30Le premier pilier, c'est la taille, où il s'agit d'entretenir la parcelle.
05:34Après, on a la grove forestière, il faut planter des arbres dans la parcelle
05:37pour toujours maintenir la productivité et l'environnement de la parcelle.
05:41Après, on va parler de la scolarisation,
05:43où on va inciter les producteurs à scolariser leurs enfants,
05:46à vérifier l'assiduité de cette scolarisation-là.
05:49Et en dernier lieu, la diversification du revenu,
05:52parce qu'on sait que le cacao ne produit pas sur toute l'année.
05:54Donc, pour chaque activité, il y a une incitation de 100 euros par an.
05:58Pour un ménage qui a fait les quatre activités,
06:00à la fin, vous avez un autre bonus de 100 euros.
06:02C'est sur deux années.
06:03Après la deuxième année, quand on arrive dans la troisième année,
06:06le bonus diminue de moitié.
06:07Après, on réduit l'incitation,
06:10et le producteur lui-même doit pouvoir continuer ses activités-là,
06:13parce qu'il a vu que ce sont des activités qui sont bonnes pour lui.
06:15Ici, le programme est à sa troisième année.
06:17Les incitations ont baissé,
06:18mais on voit que les producteurs ont toujours l'engouement
06:21de toutes les activités du programme.
06:22Ils veulent continuer.
06:23L'intérêt de Nestlé à faire ça,
06:25c'est pour permettre aux producteurs de vivre heureux.
06:28Et puis après, garantir leur approvisionnement.
06:31Donc, c'est un partenariat qui permet à Nestlé
06:33de garantir son approvisionnement auprès des coopératives.
06:37C'est bon ?
06:38C'est bon.
06:39Coupé !
06:40Tu peux le mettre là, voilà, comme ça, ça regarde.
06:43Je m'appelle Daniel.
06:45J'ai dix enfants.
06:46Trois garçons, sept filles.
06:48Moi et mon mari, on a un champ de cacao.
06:50On s'en sort bien.
06:52Jusqu'à quatre heures, je suis déjà réveillée.
06:54Ils balayent, ils mettent l'eau des enfants au feu,
06:57je les réveille pour qu'ils vont se laver,
06:59pour ne pas aller arrêter à l'école.
07:00Je veux vivre longtemps pour soutenir mes enfants,
07:02tant que je suis encore là.
07:03Quand on vend le cacao,
07:05c'est cet argent qu'on prend pour sécuriser les élèves.
07:08Et moi aussi, si j'ai un peu de problème,
07:10si les enfants sont malades,
07:11c'est cet argent qu'on prend pour les amener aussi à l'hôpital.
07:13Ça nous aide beaucoup.
07:14On remercie beaucoup Nestlé
07:17pour ce qu'ils ont fait pour nous.
07:19Ils nous ont beaucoup aidé.
07:20Depuis qu'on a commencé à faire la coopérative,
07:23on s'en sort.
07:25Nestlé nous donne aussi,
07:26parce que si nous puissions,
07:28ils avaient 65 000 pour nous, les femmes,
07:30et les enfants, 32 000.
07:32Je suis heureuse.
07:34Avant, je ne gagnais pas ça.
07:36Je ne gagnais rien.
07:37Mais aujourd'hui, grâce à Nestlé,
07:39j'ai gagné un peu d'argent.
07:41Et ça m'aide aussi beaucoup.
07:43Alors ?
07:51Ce n'est pas très représentatif de la dure réalité
07:54que rencontrent l'extrême majorité des producteurs
07:57du fait de l'économie du cacao,
07:59qui ne rémunère pas,
08:00pas assez, pas au niveau de ce dont il y a besoin
08:03pour que les familles de cacaoculteurs
08:05aient une vie décente.
08:07Ce sont des expériences pilotes qui sont intéressantes,
08:09mais le gros enjeu qui est posé à la filière,
08:11c'est quelle capacité d'en faire une généralisation.
08:13Et c'est ça qu'il faut arriver à changer.
08:15Donc la prime, c'est bien pour impulser,
08:16mais il faut changer le cœur du réacteur.
08:18Et ça, ça demande de revoir un peu en profondeur
08:21ce qu'on achète, à quel prix on l'achète,
08:23et surtout toute la chaîne,
08:24comment elle définit son prix
08:26pour que, nous consommateurs,
08:28on ait entre nos mains un produit
08:30dont on soit sûr que le prix qu'on paye
08:32est un prix qui va avoir un impact concret sur le terrain,
08:35tout simplement qui va rémunérer correctement
08:37pour le juste travail qui est fait par les cacaoculteurs,
08:39dont cette femme qui témoigne.
08:41Sur l'ensemble du prix qui est payé,
08:43on va considérer qu'on a à peu près 20%,
08:45maximum 15 à 20%,
08:46qui va revenir aux agriculteurs.
08:48Il faudrait du coup qu'on passe plutôt à
08:51quasiment 25-30%
08:53pour commencer à avoir quelque chose
08:55qui peut avoir la marge de manœuvre et l'argent suffisant
08:57pour pouvoir correctement rémunérer
08:59les cacaoculteurs dans les différents contextes.
09:01Une fois qu'on a dit ça, du coup ça interroge,
09:03est-ce qu'on peut continuer à avoir le même prix
09:05de la tablette pour le consommateur ?
09:06Qui peut faire des efforts là-dedans ?
09:08On a la question des marges de manœuvre des entreprises,
09:11on a la question aussi de taxes
09:13qui sont plutôt plus importantes chez nous,
09:15la TVA notamment,
09:17que les taxes qui sont prélevées
09:19dans les pays de production.
09:20Donc on a en fait un certain nombre de sujets
09:22qui sont en discussion.
09:23On est légitime à se poser la question de la publicité.
09:25Comme je disais, ça peut représenter
09:27sur certaines tablettes 10%,
09:29peut-être plus du prix final,
09:31ça n'est pas rien.
09:32Peut-être qu'on a été trop loin.
09:34Ça ne dit pas qu'il faut tout explurger,
09:36mais quand ça commence à représenter
09:38autant que la matière première,
09:39est-ce qu'il n'y a pas là quelque chose
09:41qui devrait être mis en débat ?
09:43Du coup, c'est un moment de la publicité,
09:45notamment à une époque
09:47où on est en plein dans la période de Pâques,
09:49où on est inondé sur Internet,
09:51à la télévision, à la radio,
09:53dans les journaux.
09:54En fait, on voit cette incitation
09:56à acheter toujours plus,
09:57à acheter telle tablette, tel produit,
09:59se poser la question peut-être de la sobriété.
10:01C'est-à-dire, est-ce qu'on a besoin de cet emballement ?
10:03Est-ce qu'on n'achèterait pas de toute façon
10:05ces produits parce qu'on en a envie ?
10:07Et est-ce qu'on peut descendre en partie
10:09cette surenchère ?
10:10La bonne nouvelle peut-être,
10:11c'est qu'aujourd'hui,
10:12où les prix flambent comme jamais
10:14sur le marché mondial du cacao,
10:15où du coup, il y a un coincement
10:16du côté du consommateur,
10:17où on a des défis majeurs
10:18en termes de changement climatique,
10:20c'est en ce moment que beaucoup d'acteurs,
10:22privés de toute la chaîne,
10:23mais aussi des pouvoirs publics,
10:24sont en capacité de se mettre autour de la table
10:26parce qu'ils se rendent bien compte
10:27qu'à un moment donné,
10:28il faut essayer de sortir par le haut
10:29de cette situation
10:30et on ne peut plus garder quelque part
10:31le statu quo qu'on a connu jusqu'à présent.
10:34C'est maintenant qu'on va s'ouvrir
10:35les discussions de fond
10:36pour déterminer l'avenir de ce secteur-là,
10:38dont on a besoin,
10:39et surtout les cacaoculteurs,
10:40pour assurer une production de long terme
10:42et durable.
10:43Et les industriels,
10:44des leviers, ils en ont,
10:46notamment grâce aux bénéfices énormes
10:48qu'ils dégagent.
10:49C'est le cas, par exemple,
10:50d'un groupe italien
10:52que tout le monde connaît.
10:53C'est ce que nous a expliqué Julie Stoll,
10:55c'est la déléguée générale
10:56de Commerce Equitable France.
10:58Ferreiro, c'est Nutella,
11:00c'est Kinder, c'est les Rocher.
11:03Ces deux dernières années,
11:05ils ont fait 2,5 milliards de dividendes.
11:09Ils se sont versés 2,5 milliards de dividendes.
11:12C'est absolument colossal.
11:15Et les producteurs qui sont à l'origine
11:18du cacao qui est utilisé dans leurs produits,
11:21ils ne se sont pas fait 2,5 milliards de dividendes.
11:24Comment une famille peut générer autant de richesses
11:28en exploitant la pauvreté des producteurs ?
11:31Cette misère a un coût pour les pays en question.
11:34On l'a dit, le cacao rapporte beaucoup à la Côte d'Ivoire,
11:37mais il y a aussi des coûts,
11:38des coûts sociétaux.
11:39Sur un euro généré par le cacao en Côte d'Ivoire,
11:4377 centimes sont dépensés pour
11:46lutter contre la déforestation,
11:48le travail des enfants et la pauvreté.
11:51Et pour finir, on a demandé à Christophe Alliot
11:53si la mauvaise rémunération des producteurs de cacao
11:55en Côte d'Ivoire,
11:56elle pouvait se comparer à celle de nos éleveurs en France.
11:59Je peux avoir envie de comparer une bouteille de lait.
12:01La différence avec le chocolat,
12:02qu'on vient de voir,
12:03c'est que le chocolat, il nécessite
12:04plusieurs étapes de transformation.
12:05Donc on aura tendance à vouloir comparer à autre chose.
12:07Alors à quoi ?
12:08Peut-être un peu plus à yaourt, par exemple,
12:10qui a deux étapes.
12:11Là, on va être dans quelque chose
12:12qui n'est pas très loin de ce qu'on a
12:13dans l'économie du cacao et du chocolat.
12:15On va se retrouver vers du peut-être 10%, 15%,
12:18suivant les cas.
12:19C'est du yaourt nature qui va revenir aux éleveurs,
12:22au coût de la matière première.
12:24Sachant qu'en France,
12:25pour avoir travaillé sur récemment,
12:27nos éleveurs n'en vivent pas.
12:29En tout cas, disons-le autrement,
12:31ils n'en vivent que parce que nous mettons
12:32notre argent public de contribuables,
12:34en forme de subvention,
12:36pour compenser le fait qu'ils ne vivraient pas
12:38de leur travail quasiment
12:39si on n'avait pas cet argent public.
12:40Et maintenant, on fait le parallèle avec la Côte d'Ivoire,
12:42eux n'ont pas cette chance-là.
12:44Ils n'ont pas un État qui a suffisamment d'argent,
12:46contrairement à nous.
12:47Ils n'ont pas la politique à l'école commune européenne
12:49pour venir financer les agriculteurs.
12:51Ils n'ont pas d'autre choix que de vivre de leur travail.
12:53Ce qui est intéressant dans cette comparaison,
12:54c'est qu'on a quand même le même problème.
12:56Que ce soit nos éleveurs, nos agriculteurs,
12:58que ce soit ces cacaoculteurs,
12:59il y a un combat commun aujourd'hui.
13:00Il y a une même question qui est posée
13:01à la façon dont s'organise le système.
13:03Est-ce vraiment le plus efficace
13:04si on veut garantir la pérennité
13:06de nos campagnes,
13:07de leurs campagnes à eux,
13:08de leurs agriculteurs comme des nôtres ?
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