Michel, une enfance sauvage

Paris Match

Pendant sept ans, Michel et son frère aîné, Patrice, se sont cachés en forêt. Un destin hors du commun raconté dans un film

Transcript

00:00 Quand on dort pour se protéger du froid, on dort assis l'un dans l'autre.

00:04 C'est-à-dire qu'on se serre l'un contre l'autre parce qu'on sait que si on veut vivre,

00:07 il faut qu'on profite de la chaleur de l'autre.

00:09 On a 4 ans et demi et 6 ans à peu près.

00:19 On est abandonnés dans ce homme d'enfant.

00:21 Et ma mère, qui nous avait mis dans ce homme d'enfant, n'est pas venue nous rechercher.

00:26 On est élevés par les bonnes et un jour, mon frère, Patrice,

00:32 pousse la porte et trouve l'homme propriétaire de ce homme d'enfant pendu.

00:37 Premier réflexe, il tire une table, il monte sur la table,

00:40 il essaye de couper la corde.

00:42 Avec le poids, cet homme tombe.

00:44 Et à ce moment-là, il y a une mare de sang sur le sol.

00:48 Donc il regarde ça éberlué.

00:50 Il se dit "j'ai fait quelque chose de grave".

00:52 Donc il m'attrape et il me dit "viens, on court, on court, on court, on s'enfuit, on s'enfuit, on s'enfuit".

00:57 Et on part, on part, on part, on court, on court.

00:59 On va se cacher à 1 km ou 1,5 km en dehors du village.

01:02 On se cache.

01:03 Petit à petit, on va finir par se cacher dans un bois.

01:07 Et là, bien évidemment, il faut que personne ne nous trouve.

01:10 Donc on commence par se cacher dans un roncier.

01:13 C'est très difficile parce qu'au bout de 2 jours, on meurt de faim.

01:17 Donc on va commencer à manger des escargots, des limaces, des insectes.

01:23 Mais par force, parce qu'il faut bien qu'on mange quelque chose.

01:27 Mais l'adaptation va se faire très très vite.

01:29 On arrive à attraper des mulots, attraper un lapin.

01:32 Et Patrice, à un moment donné, prend le lapin par les oreilles et le claque contre un arbre.

01:36 Je pleure.

01:37 Il me dit "il faut qu'on mange".

01:40 Moi, je suis un peu MacGyver, donc je sais tout faire de mes mains depuis toujours.

01:44 Et Patrice, c'est de la débrouillardise, faite enfant.

01:47 Il me trouve tout ce que je lui demande.

01:49 Et à partir de là, on commence notre vie dans la forêt et on s'est adapté à notre environnement.

01:53 La question que les gens se posent, c'est "comment ça se fait qu'on ne vous a jamais trouvé ?"

01:58 Et je suis obligé de répondre "parce que personne ne nous cherchait,

02:01 parce qu'on n'existait pour personne, parce qu'on n'avait pas de parents, aucun lien avec personne".

02:07 On s'arrange pour se fabriquer notre vie entre nous.

02:10 On devient totalement fusionnel, pire que des jumeaux, parce qu'on a une obligation de survie.

02:16 Cette obligation de survie, c'est le grand frère qui s'occupe du petit frère.

02:20 C'est l'obligation d'être ensemble, jusqu'à même une fusion physique,

02:26 parce que quand on dort, pour se protéger du froid, on dort assis l'un dans l'autre.

02:32 C'est-à-dire qu'on se sert l'un contre l'autre,

02:33 parce qu'on sait que si on veut vivre, il faut qu'on profite de la chaleur de l'autre.

02:37 Ça va créer une relation et peut-être un amour au-delà de la norme, on va dire.

02:42 - Est-ce que vous pourriez dire que votre frère vous a sauvé la vie ?

02:46 - Oui, bien sûr qu'il m'a sauvé la vie.

02:48 Il m'a sauvé la vie parce que quand moi j'étais tout petit, j'avais 4 ans, 4 ans et demi ou 5 ans.

02:53 Bon, lui a 7 ans ou 7 ans et demi, il a déjà beaucoup plus de maturité.

02:58 Il porte cette responsabilité.

02:59 Donc il a porté toute sa vie ce problème de cette histoire.

03:03 Il a porté le fait de s'être occupé de son frère et en fait d'avoir tout porté sur ses épaules

03:10 quant à la survie de son petit frère, sans parler du problème de l'affect,

03:13 du fait de ne pas avoir de père, de ne pas avoir de mère,

03:15 de ressentir en permanence que je ne suis rien pour personne.

03:20 Je n'existe que pour moi et mon frère, c'est tout.

03:23 [Musique]

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