Brice Teinturier : "On n'est pas dans un moment prérévolutionnaire"

  • l’année dernière
Une large partie des Français sont en quête de quiétude, révèlent sur France Inter Brice Teinturier, directeur général délégué d'Ipsos, et Jérémie Peltier, co-directeur de la Fondation Jean-Jaurès, ce dimanche. Ils publient l'enquête d'opinion sur "La société idéale de demain aux yeux des Français".

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Transcription
00:00 France Inter, Alibadou, Marion Lourdes, le 6/9.
00:06 Et à la une du Grand Entretien avec Marion Lourdes, la société idéale de demain aux
00:11 yeux des Français.
00:12 À quelle société, à quel mode de vie les Français et les Françaises aspirent-ils
00:17 et elles ? Quel monde veulent-ils construire ? Pour quel projet de société souhaitent-ils
00:21 se mobiliser ? Ces questions sont au cœur d'une vaste enquête menée par Ipsos pour
00:26 la Fondation Jean Jaurès et la CFDT, étude qui vient de paraître.
00:30 Vos questions, vos témoignages sur la société dont vous rêvez, chers auditeurs, au 01 45
00:35 24 7000 ou sur l'application France Inter.
00:38 Deux invités avec nous pour en parler en studio, Brice Tinturier et Jérémie Pelletier.
00:43 Bonjour à tous les deux.
00:44 Bonjour.
00:45 Et bienvenue Brice Tinturier, directeur général délégué de l'Institut Ipsos enseignant
00:49 à Sciences Po.
00:50 Jérémie Pelletier, vous êtes le co-directeur de la Fondation Jean Jaurès et vous avez
00:54 donc mené cette étude « La société idéale de demain » aux yeux des Français.
00:59 8000 personnes interrogées.
01:01 Combien de données, de data, c'est absolument fou, des centaines de milliers de réponses
01:07 que vous avez synthétisées.
01:09 Qu'est-ce qui vous a le plus surpris dans ces résultats ? Vous qui êtes habitué,
01:14 l'un et l'autre, à scruter la société française, à regarder ce qu'il y a dans
01:17 la tête des Français à longueur d'année.
01:19 Brice Tinturier ?
01:20 C'est toujours difficile de dire ce qui nous a le plus surpris parce que d'abord
01:24 on est surpris à hauteur de son ignorance.
01:25 Mais il y a des continuités, il y a des choses dans cette enquête qui n'est pas une enquête
01:30 habituelle, qui n'est pas une enquête classique.
01:32 Pas simplement parce qu'il y a eu 1700 personnes, mais parce qu'on a essayé de
01:36 projeter les Français dans des utopies réalistes.
01:40 Le questionnaire a fait l'objet d'une élaboration assez importante, assez profonde.
01:45 On s'est réunis à quatre reprises, on a brainstormé sur les tiroirs qu'il fallait
01:50 ouvrir, les grands thèmes, pour balayer toute une série de grands thèmes, puis à l'intérieur
01:54 le type de questions qu'il fallait poser.
01:55 Donc il y a des éléments qui sont dans la veine de ce que l'on pouvait observer.
02:00 Il y a des éléments de compréhension aussi supplémentaires, extrêmement importants,
02:05 que ce soit sur l'aspiration profonde des Français à un monde différent, certes,
02:11 mais surtout pas une révolution.
02:12 Au contraire, le fracas du monde, la peur qui habite énormément de nos concitoyens
02:18 parce qu'il y a des angoisses de disparition, des angoisses de déclin, des angoisses liées
02:23 au réchauffement climatique, à ce que certains appellent la submersion migratoire, etc.
02:28 Toutes ces angoisses créent aussi dans une partie de la population une volonté d'apaisement,
02:33 une volonté de quiétude.
02:34 On n'est pas dans un moment pré-révolutionnaire, comme le pensent certains responsables politiques,
02:38 c'est plutôt tout l'inverse.
02:39 Donc là, ça nous permet de bien comprendre les aspirations profondes, mais également
02:45 ce qui ne fait pas partie du champ de ces aspirations.
02:47 D'où l'importance de cette étude qui est passionnante.
02:50 On va rentrer dans le détail.
02:51 Jérémy Pelletier, pour en parler, vous dites qu'il faut regarder une scène culte du cinéma
02:56 français, extrait de « Kalmos » de Bertrand Blier, avec Jean-Pierre Mariel et Jean Rochefort.
03:01 On est en 1976.
03:02 Pardon Monsieur, la rue Gustave Flaubert s'il vous plaît.
03:05 Qu'est-ce que vous allez foutre, rue Gustave Flaubert ?
03:07 Ça ne m'en garde pas, Monsieur.
03:08 Alors m'emmerdez pas, c'est tout ce que je vous demande !
03:10 Vous pourriez être aimable.
03:11 En quel honneur ?
03:12 Ça c'est incroyable.
03:13 Je lui demande des renseignements, il m'insulte.
03:16 De quel droit vous lui demandez un renseignement ?
03:18 Même dans la rue, on ne peut plus avoir la paix maintenant.
03:21 Vous veniez nous les briser jusque sur les trottoirs.
03:23 Il n'y a pas de renseignements, il n'y a pas de Gustave Flaubert, il n'y a plus rien.
03:27 Vous voyez pas que c'est un homme fatigué ?
03:29 A deux doigts du break.
03:31 Vous cherchez un incident ou quoi ?
03:33 Pourquoi cette scène Jérémy Pelletier ?
03:36 En quoi rejoint-elle cette étude ?
03:38 Effectivement, on peut avoir le sentiment, parfois, dans l'enquête, qu'on est face
03:43 à une population française qui est parfois, en effet, au bord du break.
03:46 On a beaucoup parlé, notamment après la crise sanitaire, d'une société fatiguée,
03:51 d'une société parfois en baisse de motivation.
03:54 Et ce qui est intéressant dans l'enquête, et Brice l'a dit de façon transversale,
03:57 c'est le vrai désir de quiétude, la vraie demande de tranquillité,
04:00 la vraie demande d'apaisement dans la société française.
04:03 Finalement, c'est un idéal, entre guillemets, assez simple.
04:06 Ce n'est pas un idéal totalement révolutionnaire,
04:08 ce n'est pas un idéal totalement dingo.
04:10 Mais en effet, quand vous demandez aux gens du Rgen, c'est quoi le critère le plus important
04:14 aujourd'hui dans votre lieu de vie rêvé, dans votre lieu de vie idéal ?
04:18 Ils disent en fait, le plus important, c'est d'abord avant tout la tranquillité de la vie.
04:22 Et après, quand vous tirez un peu le fil, les éléments qui arrivent très vite,
04:26 c'est l'idéal d'une maison isolée, l'idéal d'une maison isolée loin des autres.
04:30 Et pourquoi cet extrait de Kalmos correspond peu ou prou à un certain nombre de sujets de l'enquête ?
04:36 C'est que, effectivement, on peut avoir le sentiment parfois que l'idéal de vie projeté
04:40 par les Françaises et les Français se fait parfois loin des individus.
04:44 Se fait parfois loin des autres, parce que loin du bris,
04:47 parce que loin du caractère parfois anxiogène de l'autre.
04:50 Et donc, en effet, on peut parfois aussi avoir tendance à penser et à voir que,
04:55 dans l'enquête, l'idéal des Françaises et des Français se fait d'abord avant tout
04:58 dans un idéal de recroquevillement un peu loin de la communauté finalement,
05:02 au-delà de sa famille évidemment.
05:03 C'est intéressant quand on vous écoute, Jérémy Pelletier et Brice Tinturier,
05:07 parce que vous dites société au bord du break, vous dites en même temps société qui n'est pas révolutionnaire,
05:12 qui n'est pas au bord de la révolution.
05:13 Alors, si on pense au Gilet jaune qui était un mouvement qui était, il y a tout juste 5 ans,
05:17 une protestation notamment contre le prix trop élevé du carburant, mais aussi un mouvement anti-système,
05:23 est-ce qu'on peut imaginer qu'un mouvement de ce genre, pas tout à fait révolutionnaire,
05:26 naisse encore aujourd'hui, Brice Tinturier ?
05:29 Oui, bien sûr, mais aussi pour une autre raison, c'est qu'il n'y a pas un idéal de société.
05:32 Et ça, c'est un élément je crois très important de l'enquête.
05:35 Ce que ça nous apporte par rapport à certains types d'analyses,
05:39 c'est qu'on voit très bien dans cette étude que vous avez des éléments qui fédèrent les Français.
05:44 Quand je dis qu'ils fédèrent les Français, ça veut dire qu'on n'est pas dans l'archipélisation,
05:48 on est plutôt dans quelque chose où on peut avoir des consensus forts sur un certain nombre de points.
05:52 Ça peut être les inégalités par exemple.
05:55 Là, vous avez quelque chose de très puissant dans la société française,
05:58 ça rejoint un peu les gilets jaunes, de lutte contre les inégalités.
06:02 Mais il y a bien d'autres thèmes où les Français en réalité s'accordent sur des points.
06:06 Et puis vous en avez d'autres, et Jérémy l'a cité, où au contraire, vous avez des clivages très importants.
06:10 Donc on est dans ces éléments, et je crois que tout l'enjeu, c'est de comprendre qu'est-ce qui fédère et qu'est-ce qui éloigne.
06:16 Et de ne pas basculer dans une caricature d'une France qui serait irréductablement fracassée et fragmentée,
06:23 et pas non plus être naïf en se disant finalement que la France continue à exister tel qu'elle était il y a 20 ans,
06:29 parce que bien évidemment on n'est plus du tout là-dedans.
06:31 Jérémy Pelletier, il y a quand même une forme de violence dans la société.
06:33 On parle aujourd'hui par exemple de cette étude sur les maires qui ont été plus injuriés, plus attaqués, plus menacés qu'avant.
06:40 Une hausse de 15% sur un an.
06:42 Est-ce que ça s'explique aussi cet espace de violence par la différence entre la société telle qu'elle est aujourd'hui,
06:47 et telle qu'on la souhaite par exemple dans votre étude ?
06:49 Je pense qu'en effet il y a un lien entre des Françaises et Français qui ont le sentiment,
06:54 et ça c'était dans l'étude Fractures françaises qu'on a publiée il n'y a pas très longtemps aussi avec Brice,
06:57 il y a un lien entre en effet des Françaises et Français qui ont le sentiment que la société est beaucoup plus violente que les dix dernières années,
07:03 qu'on vit en effet dans un monde violent, que la société est beaucoup plus violente par exemple que l'année dernière.
07:08 Il faut aussi évidemment tenir compte de ce qui s'est passé dans la société française.
07:11 Les émeutes urbaines aussi ont travaillé la société française en profondeur sur ce rapport-là.
07:16 Donc effectivement quand on insiste sur le désir d'apaisement, de quiétude,
07:20 parfois un peu distant des autres, parfois un peu éloigné des autres, le désir aussi de décélération,
07:25 parce que c'est un élément aussi qui est très rassembleur au sein des Françaises et des Français,
07:28 il y a en effet, en lien absolument, on peut imaginer en effet qu'il y a un lien entre un environnement extérieur
07:35 qui paraît un peu plus anxiogène que par le passé, une atmosphère en fait qui peut paraître un peu plus anxiogène que par le passé,
07:41 et effectivement cette demande de quiétude et d'apaisement.
07:44 Et ce qui est intéressant en fait, parce qu'on peut s'interroger, est-ce que finalement les Français et les Français sont nostalgiques d'un idéal ?
07:49 C'était mieux avant, un âge d'or même s'il n'a jamais existé.
07:52 Absolument, moi ce que je crois beaucoup c'est que s'il y a de la nostalgie,
07:55 les Français et les Français peuvent être nostalgiques d'une atmosphère.
07:58 Et nostalgique d'une atmosphère en effet, un peu d'insouciance, un peu de légèreté,
08:02 loin des fracas du monde et loin aussi de l'actualité très anxiogène que l'on connaît en ce moment.
08:06 Brice Tintier.
08:07 Pour prolonger ce que disait Jérémy à l'instant, je crois qu'il y a deux émotions centrales dans la société française aujourd'hui.
08:12 Il y a la peur, on en a parlé, la peur dans un monde dangereux.
08:15 Et puis il y a également la colère.
08:17 Et c'est pour ça qu'on oscille en permanence...
08:19 La colère.
08:20 Oui, la colère qui reste une émotion importante en France,
08:23 et puis surtout qui est valorisée par un certain nombre de responsables ou d'acteurs,
08:28 où on entend par exemple, "eh bien vous comprenez, ils sont en colère".
08:31 Et ça devrait tout expliquer et tout justifier.
08:34 Donc ces deux émotions-là, elles jouent fondamentalement,
08:38 et elles expliquent pourquoi on peut avoir un désir de transformation, parce qu'il existe.
08:42 On a mesuré, 59% des Français qui veulent soit transformer radicalement la société française,
08:46 soit la réformer en profondeur.
08:48 Alors encore une fois, ce n'est pas la révolution, mais c'est cette idée que ça ne va pas dans ce pays.
08:53 Et c'est pour ça qu'on a un idéal de société qu'on peut mesurer dans cette enquête.
08:58 C'est l'insatisfaction à l'égard de la situation présente,
09:01 qui permet aussi de se projeter dans un idéal type ou des idéautypes de société.
09:06 - Alors la France de demain, on va regarder quelques-uns des chiffres
09:09 qui sont clés pour comprendre, soit les Français ou en tête,
09:13 qu'est-ce que ça veut dire réussir sa vie dans une société idéale, Brice Tinturier ?
09:16 C'est une question qui divise.
09:18 51% des personnes que vous interrogez sont d'accord avec l'idée sur laquelle
09:22 avoir beaucoup d'argent fait perdre le sens des valeurs qui comptent vraiment,
09:26 et ça ne rend pas plus heureux.
09:28 49% estiment au contraire qu'avoir de l'argent, ça contribue au bonheur.
09:32 - C'est un des chapitres de l'enquête qui m'a tout à fait intéressé.
09:35 Vous voyez d'ailleurs dans les chiffres que vous rappelez,
09:37 que dans le rapport à l'argent, on est sur quelque chose qui clive profondément
09:40 la société française en deux blocs quasiment équivalents.
09:43 Mais la réponse à la question "qu'est-ce que c'est que réussir sa vie ?"
09:46 c'est d'abord, les Français nous disent d'abord,
09:48 c'est être en accord avec ses valeurs profondes.
09:51 Ensuite, c'est avoir fondé une famille solide, et puis avoir du temps libre.
09:56 Et l'idée de réussir sa vie professionnelle ou gagner beaucoup d'argent
10:00 est extrêmement minoritaire.
10:02 Donc on a des éléments là qui nous révèlent très profondément
10:05 ce que souhaitent, j'allais dire, intimement les Français.
10:08 Mais cette idée de cohérence avec ses valeurs, elle est extrêmement puissante.
10:12 Je pense que c'est un levier dans la société.
10:14 Et puis évidemment, l'idée de la famille, qui reste aussi là hyper valorisée
10:19 et perçue comme un filet de protection.
10:21 - Jérémy Pelletier ?
10:22 - Absolument, je pense que l'idée de la famille, le sujet de la famille,
10:25 c'est un des sujets finalement les plus importants aussi,
10:27 et les plus intéressants de l'enquête.
10:29 - L'un des plus surprenants aussi.
10:30 Lorsque vous demandez à qui, à quoi on se sent appartenir,
10:34 on se sent d'abord appartenir à sa famille, avant de se sentir appartenir au pays.
10:39 - Absolument, vous avez plus de 8 Français sur 10
10:41 qui dit en gros, ma première communauté d'appartenance.
10:44 En effet, quand on me demande comment je me définis en tant qu'individu,
10:47 c'est d'abord avant tout, je me définis par rapport à ma famille.
10:50 Bien devant son pays, à peine un Français sur deux,
10:52 bien devant son travail, bien devant sa région, sa ville, etc.
10:55 Alors, on dit sujet surprenant, oui et non,
10:57 parce que finalement, depuis la crise sanitaire,
10:59 on a vu en effet qu'il y a une « revalorisation » de la famille,
11:03 une revalorisation de ce qu'on appelle l'espace d'ultra proximité.
11:07 Et en effet, on se rend compte dans l'enquête que l'idéal de vie
11:10 défini par les gens, peint par les gens,
11:12 passe beaucoup en effet par une famille épanouie,
11:14 par une vie de famille épanouie.
11:16 Et d'ailleurs, on voit, alors là pour le coup, des éléments un peu surprenants
11:19 qui peuvent sembler un peu obsolètes, un peu has-been,
11:21 même chez la jeune génération, qui correspondent à cet idéal de famille.
11:24 Finalement, cet idéal de famille passe beaucoup par le mariage,
11:27 passe beaucoup par le couple, passe beaucoup entre guillemets par la fidélité.
11:31 Alors, attention, ça ne veut pas dire…
11:32 Quel que soit la couleur politique.
11:33 Alors, quel que soit la couleur politique, ça ne signifie pas
11:35 que les Françaises et les Français sont des conservateurs.
11:37 Parce que quand vous leur demandez, bon très bien, ça c'est votre idéal en matière de famille,
11:41 famille avec enfant, mariée, etc.
11:43 Malgré tout, les Français et les Français disent, mais par contre,
11:46 si d'autres veulent choisir d'autres modèles familiaux, aucun problème,
11:49 je tolère et je n'ai aucun problème avec ça.
11:51 Si d'autres personnes veulent avoir des enfants hors mariage, aucun problème, je tolère ça.
11:55 Donc, il faut avoir en tête aussi que dans cette enquête, l'idéal de société,
11:58 qui peut avoir parfois quelques signes de stabilité, un peu à l'ancienne, etc.,
12:03 ne signifie pas qu'on est face à une France conservatrice.
12:05 Au contraire, on s'aperçoit qu'en effet, la société française se métamorphose
12:09 sur beaucoup d'aspects pour le meilleur, en l'occurrence,
12:11 sur la question des mœurs, des modèles familiaux, etc.
12:13 C'est un enjeu fondamental parce qu'il y a des contresens sur un certain nombre de questions,
12:17 parfois, qu'on pose dans des enquêtes.
12:18 Notamment le fait qu'il y a une aspiration à un cadre sécurisé.
12:23 Ça, c'est incontestable.
12:24 Les Français nous disent « oui, il faudrait un chef qui remette de l'ordre dans le pays ».
12:29 Et ils le disent dans des proportions très importantes.
12:31 Mais ça ne veut absolument pas dire qu'ils voudraient un régime autoritaire.
12:35 C'est même tout l'inverse.
12:36 Et on le voit dans l'enquête, là.
12:37 Vous avez 9 à 10% de Français, simplement, qui seraient sur une demande de régime autoritaire.
12:42 Coexiste en réalité une demande de sécurisation du cadre
12:46 pour pouvoir exprimer une liberté à l'intérieur de ce cadre sécurisé
12:50 en matière de mœurs, en matière culturelle.
12:53 Et c'est ce qu'on voit justement sur le rapport à la famille.
12:56 Il y a énormément de tolérance ou de liberté dans un cadre
13:00 qui est un cadre, encore une fois, où l'on demande de la sécurité et de la protection.
13:04 - Brice Saint-Uriel, Jérémy Pelletier, on va filer au Standard Inter.
13:07 Bonjour Jacques !
13:08 - Oui, bonjour France Inter.
13:10 - Vous nous appelez d'Arras.
13:12 - Oui, quel est votre rêve Jacques ?
13:14 - Alors mon rêve c'est peut-être une utopie, monsieur.
13:17 Ce serait que la France soit une véritable démocratie.
13:20 Donc je m'explique.
13:21 Une véritable démocratie, le pouvoir du peuple qui s'exprime par le vote,
13:26 par le peuple, qui délègue son pouvoir aux élus du peuple,
13:31 et pour le peuple, avec des élus du peuple qui agissent dans l'intérêt général du peuple
13:37 et non pas au service de quelques-uns.
13:39 Donc je rappelle quelques exemples.
13:41 - Rapidement !
13:42 - Oui, le déni démocratique de 2005 sur la Constitution européenne,
13:47 la privatisation de Gaz de France et des autoroutes,
13:50 bradées à 65% de leur valeur,
13:52 les lois El Khomri de détricotage du droit du travail
13:56 et dernièrement la réforme des retraites.
13:58 - On va retenir votre rêve Jacques, on va retenir votre rêve en tout cas,
14:01 et non pas vos cauchemars.
14:03 Mais est-ce que ce que dit Jacques, vous l'avez retrouvé Jérémy Pelletier ?
14:06 - Ce qui est intéressant et ce qui est rassurant dans l'enquête,
14:09 et Brice l'a évoqué tout à l'heure,
14:10 c'est qu'on est face à une société française encore composée d'une grande majorité de démocrates.
14:13 Et en effet, il n'y a pas d'idéal de régime autoritaire, de régime militaire,
14:17 c'est d'abord un idéal qui reste un idéal démocrate.
14:20 Par contre c'est extrêmement clivé parce qu'au sein de cette démocratie,
14:23 vous voyez que celles et ceux qui défendent ce modèle-là,
14:26 il y a vraiment deux moitiés de Français.
14:27 Une moitié qui dit "je défends d'abord avant tout l'idée d'une démocratie représentative"
14:32 et une autre moitié qui n'est pas du tout la même moitié,
14:34 d'un point de vue générationnel, d'un point de vue politique,
14:37 qui la défend en effet à ce que Jacques a présenté,
14:40 à savoir une démocratie beaucoup plus directe.
14:42 Mais ce qu'il faut retenir aussi dans l'enquête,
14:43 c'est que globalement l'idéal de vie des gens
14:46 passe beaucoup par la participation d'une façon générale.
14:49 C'est vrai dans le cadre démocratique,
14:50 c'est vrai aussi dans le cadre d'un sujet très important qui est la question du travail.
14:53 Aujourd'hui quand vous demandez quel est l'idéal en matière de travail
14:56 chez les Français et les Français,
14:57 c'est un idéal fait de ce qu'on appelle la co-gestion.
14:59 C'est-à-dire qu'ils préfèrent en effet demain imaginer leur travail
15:02 à travers une forme de co-gestion,
15:04 donner sa parole, donner sa voix par rapport aux grandes décisions de l'entreprise.
15:07 Donc c'est en lien aussi avec ce que disait Jacques.
15:09 C'est vrai Brice Tinturier que ça va sans doute faire des déçus,
15:12 cet échec d'élargir le référendum aux questions de société
15:15 qui a été actée vendredi,
15:17 puisque effectivement les Français,
15:18 une bonne partie, un tiers à peu près,
15:20 sont favorables à ce genre d'outils.
15:22 Oui bien sûr, mais quand vous demandez aux gens
15:24 s'ils sont favorables ou opposés à ce qu'on les consulte,
15:27 la réponse est quand même fabriquée dans la question.
15:31 Donc qu'il y ait un désir légitime de pouvoir donner son avis
15:34 sur les grands sujets de société, ce n'est pas surprenant.
15:36 Après la vraie question c'est,
15:38 est-ce que le bon instrument c'est bien le référendum ?
15:41 Quelles questions allons-nous poser ?
15:44 Est-ce que c'est un certain nombre de sujets complexes
15:47 qui demandent plutôt du recul aussi ?
15:49 Est-ce qu'il faut passer par le référendum,
15:51 par une campagne qui peut essayer de poser cela en termes binaires ?
15:55 C'est ça la véritable question.
15:56 Mais il n'est pas surprenant, et ça participe de ce désir
15:59 d'être consulté de démocratie,
16:01 ce sentiment que votre auditeur a très bien exprimé,
16:04 qui est qu'on ne serait plus dans une démocratie.
16:07 Ce qui est un vrai paradoxe, parce que si on n'est plus en France
16:09 dans une véritable démocratie, il faut vraiment nous expliquer
16:12 où est la démocratie.
16:13 Alors elle est imparfaite bien sûr,
16:15 mais vous avez les médias, plus réalistes quand même,
16:17 vous avez le suffrage universel qui continue à exister,
16:20 vous avez les ossations, vous avez énormément de critères
16:23 qui montrent que nous sommes dans une démocratie.
16:25 Et pour autant, il y a ce sentiment que nos idées
16:28 ne sont pas représentées, qu'il y a une forme d'accaparement
16:31 de la démocratie, et que justement, on ne consulte pas assez le peuple
16:35 par voie de référendum ou d'une autre façon.
16:37 Jérémy de Pelletier, Brice Tinturier parlait des médias,
16:40 c'est intéressant aussi l'enseignement sur les médias,
16:42 les français sont encore attachés aux médias, aux livres,
16:46 et ils préfèrent s'informer avec Slack
16:49 qu'avec les chaînes Youtube et Internet.
16:51 Alors absolument, c'est une partie très intéressante de l'enquête,
16:54 quand on demande aux gens, ce serait quoi votre idéal
16:56 en matière d'information ?
16:58 C'est-à-dire que si vous en aviez la possibilité,
17:00 si vous aviez la possibilité de dessiner votre société rêvée
17:02 en matière d'information, à quoi la société ressemblerait ?
17:05 Ce dont on s'aperçoit, c'est qu'en gros, les gens disent
17:07 qu'on préférait davantage de rareté, mais davantage de qualité.
17:11 En gros, on leur demande, est-ce que vous préférez
17:13 une multiplicité de canaux de diffusion,
17:15 quitte à ce que parfois l'information soit problématique,
17:18 soit pas forcément vérifiée, ou est-ce qu'au contraire,
17:20 vous préférez davantage de rareté, mais au profit de la qualité ?
17:23 Et là, on s'aperçoit que vous avez une grande majorité
17:25 de Français qui est plutôt pour la deuxième option.
17:27 Ce qui est le signe aussi, vous savez, de ce dont on a
17:29 beaucoup parlé depuis maintenant un an ou deux ans,
17:32 qui est le signe d'une société touchée par ce qu'on appelle
17:34 la fatigue informationnelle, et en effet, qui demande
17:36 à décélérer, aussi par rapport aux médias, pour qu'il y en ait
17:39 un peu moins, mais de meilleure qualité.
17:41 Avant le Covid, et pendant le Covid, on a critiqué
17:43 la surconsommation, rien ne serait plus jamais comme avant,
17:46 dans le monde d'après, on apprendrait à ne pas se ruer
17:50 sur les opérations promotionnelles, la semaine prochaine,
17:53 le vendredi noir, et là, on voit une vraie fracture
17:55 au sein de la population, c'est-à-dire qu'il y a 27%
17:59 des personnes que vous avez interrogées qui sont favorables
18:01 aux remises, aux soldes, 30% sont contre,
18:05 le rapport à la consommation, c'est un sujet de clivage.
18:08 - Bien sûr, la consommation est un révélateur de ce que nous sommes,
18:12 et la société française, elle est plurielle,
18:14 elle est parfois fragmentée, et on le voit très bien
18:16 à travers ce type de questions.
18:18 Donc, l'idée qu'on aurait eue, après le Covid,
18:21 qu'on aurait un monde d'après fondamentalement différent, etc.,
18:24 d'abord, les Français en sont vite revenus,
18:26 ils ont vite compris que le monde d'après, elle est furieusement
18:28 ressemblée au monde d'avant, et peut-être même en pire pour eux,
18:31 et que sur la consommation, vous avez des pressions qui s'exercent,
18:35 il y a des désirs, il y a des utopies, il y a des idéaux,
18:38 mais il y a aussi, tout simplement, la question du pouvoir d'achat.
18:40 - Ça, c'est la première préoccupation des Français, ça reste ?
18:42 - Ça reste la première préoccupation des Français,
18:44 et c'est un driver fondamental de notre rapport à la consommation,
18:47 mais il n'y a pas que cela, la consommation révèle aussi
18:50 notre vision de la société, un peu comme la politique.
18:53 Ce qui est intéressant dans une élection, c'est parce que ce sont
18:55 des choix qui cristallisent des visions de la société.
18:57 C'est la même chose pour la consommation.
18:59 - De nombreuses questions, pour le coup, sur l'application France Inter,
19:02 où des auditeurs, Virginie par exemple, dit que sa société idéale,
19:06 c'est une société humaine et solidaire, une société d'entraide,
19:09 égalitaire, équitable, ces mots reviennent régulièrement.
19:12 Ça va quand même contre ce que vous présentez,
19:15 la volonté individualiste de s'éloigner des autres,
19:18 seule, de vivre à l'écart, non Jérémy Pelletier ?
19:20 - Alors, non, je ne pense pas, parce que c'est ressenti aussi comme une souffrance.
19:23 C'est-à-dire qu'on voit beaucoup aujourd'hui dans les études,
19:26 dans les enquêtes qui peuvent être réalisées,
19:28 que beaucoup de Français sont touchés par une forme de solitude,
19:31 par une forme d'isolement. Pas un isolement objectif,
19:34 mais un isolement subjectif. C'est-à-dire, il y a un sentiment,
19:37 en effet, d'être plus seul que par le passé.
19:39 C'est la conséquence de quoi ? C'est la conséquence d'une société
19:42 qui se déshumanise, c'est la conséquence, en effet, d'une société
19:45 qui a en partie ses liens de sociabilité, ses lieux de sociabilité,
19:48 et donc, c'est vécu en partie comme une souffrance.
19:51 Et donc, en effet, on voit malgré tout, dans tout un tas de travaux,
19:54 qu'il y a un désir de réhumanisation, un désir, en effet,
19:57 de réenchanter des liens sociaux et des liens de sociabilité
19:59 au sein d'une société qui a le sentiment qu'elle se désagrège petit à petit.
20:02 - Brice Tinturier, vous allez dire un mot, pardon.
20:05 - Oui, pardon, parce que, attention sur cette question,
20:08 les chiffres, c'est que un tiers des Français, en réalité,
20:11 souhaiteraient vivre dans un lieu où ils croiseraient des gens
20:14 totalement différents d'eux, 39% où ils croiseraient des gens
20:17 qui auraient la même opinion, la même origine, etc.
20:20 et 25% souhaiteraient vivre isolés des autres.
20:23 Donc, ce n'est pas majoritaire. Alors, on est typiquement dans quelque chose
20:26 qui clive la société, pas en trois tiers, mais quasiment.
20:29 En revanche, sur la question que vous abordiez, les inégalités,
20:32 là, vous avez un consensus fort. Il y a un désir, et c'est ce qu'exprime
20:35 votre auditrice, de lutter contre des inégalités,
20:38 perçues certes comme naturelles au sens d'inéluctables,
20:41 mais qui révoltent les Français. Et donc, ils se disent
20:44 qu'elles ne sont pas au bon niveau, et il faut lutter contre.
20:47 Et là, on est à plus de 60%. - En un mot, oui ou non, parce qu'on arrive à la fin,
20:50 est-ce que cette société idéale, elle est incarnée aujourd'hui
20:53 par un parti, ou un homme, une femme politique ? - Non.
20:56 Là, pour le coup, c'est très clair, vous n'avez pas une figure politique
20:59 qui permettrait de fédérer au maximum différents idéaux de société.
21:03 On reste, de ce point de vue, dans quelque chose qui est fragmenté,
21:06 voire parfois polarisé. - En tout cas, c'est passionnant.
21:09 Merci Brice Tinturier, Jérémy Pelletier. La société idéale
21:12 de demain aux yeux des Français, c'est à lire sur le site
21:15 par exemple de la fondation Jean Jaurès,
21:18 de Ipsos également, à suivre sur Inter, la revue de presse.
21:21 presse.

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