Il y a 40 ans, comment la "Marche des beurs" a révélé aux Français la crise des banlieues

  • l’année dernière
Attentats à la bombe, assassinats, bavures policières, lynchages, drames du bruit et du voisinage, entre le début des années 1970 et la fin des années 1980, les victimes ont toutes les le teint basané et le cheveu frisé. Dans les familles d’immigrés d’Afrique du Nord venues travailler en France dès la fin des années 1950, c’est l’angoisse. Au racisme violents et à la xénophobie ordinaire s’ajoutent les discriminations à l’accès à l’emploi et au logement.


Pour en finir avec ces injustices, des enfants d’immigrés d’une cité des Minguettes, à Vénissieux, lancent une action non-violente : de Marseille à Paris, une marche de 1 500 kilomètres pour réclamer l’égalité et en finir avec le racisme. Une marche qui les mène dans les salons de l’Elysée à l’invitation du président de la république, François Mitterrand.

Parmi les sources de cette vidéo :

Racisme :
31e rapport sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobieLes Français se disent moins racistes - https://vu.fr/KZBQ

Emploi :
Etude de la Dares - https://vu.fr/VDQER

Discriminations à l’embauche : un phénomène qui reste « généralisé et persistant - https://urlz.fr/jb0o

Logement :
Better residential than ethnic discrimination ! - https://urlz.fr/nBgJ

A field study of rental market discrimination across origins in France - https://urlz.fr/nBgM

La discrimination liée à l’origine, sur le marché du logement à Paris - https://urlz.fr/nBgQ

Les discriminations dans l’accès au logement en France - https://urlz.fr/nBgV

Police :
Défenseur des droits / Enquête, relations police/population - https://urlz.fr/cStO

Contrôles policiers et personnes perçues comme noires ou arabes - https://urlz.fr/nBh2

Justice :
La législation antiraciste française, support d’un racisme structurel - https://urlz.fr/nBh5

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Transcript
00:00 Juin 1983, dans le quartier populaire des Minguettes, à Vénissieux près de Lyon.
00:08 Une altercation entre des jeunes et un policier.
00:13 Toumija Ija, un animateur du quartier, s'interpose.
00:17 Le fonctionnaire de police tire.
00:20 Le jeune homme s'effondre.
00:21 Ce drame donne l'impulsion à une marche de Marseille à Paris.
00:26 Les médias la surnomment la marche des beurres.
00:29 Avec une image devenue célèbre, celle d'enfants d'immigrés maghrébins
00:34 qui lèvent la voix pour dire stop à la violence des policiers,
00:38 aux discriminations et aux crimes racistes.
00:41 Mais 40 ans plus tard, leur appel à l'égalité et à la justice a-t-il été entendu ?
00:58 Fin des années 50, croissance économique oblige,
01:02 on recrute dans les anciennes colonies du Maghreb des centaines de milliers d'hommes.
01:07 Ils travailleront dans les usines et dans le BTP.
01:10 Des années après, beaucoup quittent leur logement de fortune
01:17 pour habiter dans de grands ensembles de béton qui surgissent de terre.
01:21 Les travailleurs immigrés y font venir femmes et enfants.
01:26 Là, ces derniers se construisent dans la culture de leurs parents
01:30 et celle du pays où ils grandissent, la France.
01:34 Résultat, ils se sentent un peu plus français et plus vraiment arabes.
01:41 Aujourd'hui, c'est l'un des phénomènes les plus troublants sur lesquels je vous propose de réfléchir.
01:45 Il s'agit du racisme, le racisme qui s'est développé ces derniers mois
01:49 et qui a fait une trentaine de morts en France, un chiffre qui paraît incroyable.
01:53 Tirs policiers, légitimes défenses, drames du bruit et du voisinage, lynchage.
02:00 Entre 1981 et 1983, les victimes ont toutes le cheveu frisé et le teint basané.
02:08 Mais rares sont les meurtriers condamnés à de la prison ferme.
02:12 Et puis, il y a le chômage.
02:16 Dès la fin des années 70, des délocalisations frappent les immigrés peu qualifiés et leurs enfants.
02:23 Au quartier des Maguettes, le taux de chômage est de 12 %,
02:27 deux fois la moyenne nationale en 1981.
02:30 Le premier handicap, c'est qu'on est jeune.
02:33 Ils se font dire qu'à la télé, ils ont dit qu'ils n'étaient pas pour l'emploi,
02:35 mais quand on va, ils disent non, il faut un gars qui a 25 ou 30 ans.
02:38 Et quand je vais dans une boîte, ils m'embauchent pas.
02:40 Bon, déjà, ça fait deux handicaps.
02:42 Le troisième, je sais où on est, on est nord-africain.
02:45 C'est qu'on est nord-africain.
02:46 Et le quatrième handicap, c'est l'adresse.
02:51 Ici, environ 5 000 jeunes sont sans emploi et la plupart sans formation professionnelle.
02:57 Il n'y a rien dans cette cité en béton.
03:01 C'est ennuyeux.
03:02 C'est une cité d'ensoir.
03:04 On y vient, on y couche et on repart au boulot.
03:07 Pour ceux qui travaillent.
03:08 Pour ceux qui travaillent.
03:09 Bref, exclusion sociale plus désœuvrement égale l'ennui.
03:17 Des rodeos de voitures dégénèrent en affrontement avec la police.
03:21 Et ces voitures calcinées, c'était ce matin au même endroit,
03:24 à la Zub des Minguettes, le résultat d'une nuit mouvementée.
03:27 7 septembre 1981, c'est la première émeute de cité en France dont parle un JT de 20 heures.
03:35 La répression, une solution que les maires de la région appellent de leur vœu.
03:39 Pour eux, en effet, il s'agit d'un phénomène de délinquance classique et de rien d'autre.
03:44 Et pourtant, sous le drame de l'emploi, couve un autre, celui du logement.
03:49 Beaucoup d'habitants quittent leurs appartements délabrés,
03:53 mais on interdit quiconque de s'y installer à leur place.
03:57 Résultat, 2500 appartements vides sur 9500.
04:01 Dans cette cité à fort pourcentage d'immigrés, au problème de l'isolement,
04:05 c'est rajouter celui de trouver un toit.
04:08 Des appartements vides servent parfois à stocker le butin des petits voleurs.
04:14 D'où des perquisitions tendues.
04:16 Il faut savoir que dans les familles maghrébines, on est très soudés et qu'on a un très grand respect de la mère.
04:21 Eh bien, semble-t-il, d'après plusieurs témoignages,
04:24 des mères ont été maltraitées ou insultées ou en tout cas déconsidérées par les policiers qui sont entrés.
04:31 Et cela, les jeunes ne pouvaient pas le laisser passer.
04:33 Si bien que ça a été l'explosion.
04:35 Après cette nouvelle explosion,
04:39 le prêtre Christian Delorme et le pasteur Jean Costil persuadent des jeunes d'entamer une grève de la faim.
04:44 Avec trois revendications.
04:46 Une commission d'enquête pour régler les contentieux avec certains policiers.
04:52 Deux, du travail pour les jeunes de la cité, françaises et immigrées.
04:57 Trois.
04:59 Moi, je terminerai avec le dernier point sur le logement.
05:02 Il faut que soit reconnu le droit de chacun être convenablement logé.
05:07 Lui, c'est Toumi Jaïdja, le président de SOS Avenir Minguet.
05:11 Une association créée juste après cette grève de la faim.
05:15 Deux mois plus tard, il regarde la mort en face.
05:18 De violents incidents ont opposé la nuit dernière deux jeunes maghrébins.
05:22 Aux forces de l'ordre, un policier a été grièvement blessé, ainsi que le porte-parole des jeunes maghrébiens du quartier.
05:28 Une balle dans le ventre tirée par un policier,
05:31 Toumi Jaïdja est transportée d'urgence à l'hôpital.
05:36 C'est la balle de trop.
05:37 Réunis autour de leur président, dans sa chambre d'hôpital,
05:41 des membres de SOS Avenir Minguet et Christian Delorme s'interrogent.
05:46 Comment finir avec la violence et le racisme ?
05:49 Et pourquoi pas une marche pacifique, comme celle de Martin Luther King et de Gandhi ?
05:56 C'est la marche pour l'égalité et contre le racisme.
05:59 Son message ?
06:01 Immigrés et français peuvent vivre ensemble dans la paix.
06:05 Mais comment ?
06:06 Ville de départ, Marseille, ou trois ans plus tôt,
06:10 un policier a tué un maghrébin de 17 ans lors d'un contrôle.
06:15 Deux balles en pleine tête. Le CRS affirme que son pistolet mitrailleur est parti tout seul.
06:19 Rendez-vous est donné à la cité du Bahou, là où deux bombes ont explosé.
06:24 L'une en juin 1981, blessant un immigré.
06:28 L'autre en mars 1983, tuant un enfant gitan.
06:35 Ce jour-là, le 15 octobre 1983, une douzaine de marcheurs s'élancent dans l'indifférence quasi totale.
06:42 Objectif ? Paris.
06:45 1 200 km à pied à travers une France que beaucoup découvrent pour la première fois.
06:51 Dans les 50 villes-étapes, les réseaux chrétiens et des associations d'aide aux immigrés
06:57 organisent pour la population des débats avec les marcheurs.
07:02 Au cours de ces rencontres, les Français échangent avec une figure qu'ils ne connaissaient pas.
07:07 Le jeune de banlieue issu de l'immigration.
07:11 Et au contact des habitants, ces "beurs" ont une agréable surprise.
07:17 On était parti en tête avec l'idée que tous les Français sont plus ou moins tous racistes.
07:22 Alors là, on n'a plus le droit de généraliser.
07:25 Mais dans la nuit du 14 au 15 novembre 1981,
07:31 le 15 novembre 1983, l'horreur.
07:34 Habib Crimsy a été jeté par la fenêtre du train Bordeaux 20 000
07:39 après avoir été proprement massacré par de futurs recrues de la Légion étrangère.
07:43 Ils ont été ce soir inculpés d'homicide volontaire.
07:46 Parmi les 90 passagers présents au moment du martyr du jeune Algérien,
07:51 aucun n'a tiré de signal d'alarme.
07:54 Dans le pays, c'est la stupeur et l'indignation.
07:59 Renforcée, légitimée, la marche pour l'égalité prend une dimension nationale.
08:06 Toulouse, Nantes, Rennes, Le Mans, Le Havre, Clermont-Ferrand, Rouen, Saint-Dizier,
08:15 des marches parallèles se multiplient.
08:18 Pendant ce temps-là, les marcheurs de la première heure approchent de Paris.
08:25 Le 3 décembre 1983, pour les accueillir, plus de 60 000 personnes ont répondu
08:32 à l'appel de 70 associations, partis et syndicats de gauche.
08:37 Dans le cortège, des artistes, des ministres et des élus républicains,
08:43 de gauche, mais aussi de droite.
08:46 Mais le deuil était présent aussi.
08:48 Les familles des jeunes maghrébins victimes du racisme ont manifesté dans la gravité.
08:53 Les Français étaient nombreux à côté des immigrés pour témoigner leur solidarité.
08:57 Apogée du succès, le président de la République reçoit à l'Élysée quelques marcheurs.
09:04 François Mitterrand leur annonce
09:08 1. La création d'une carte de résident de 10 ans, automatiquement renouvelable,
09:13 pour une vie plus stable.
09:15 2. Des mesures pour davantage de justice dans les affaires de crimes racistes.
09:22 3. Un projet sur le vote des étrangers non membres de l'Union européenne aux élections locales.
09:29 C'était d'ailleurs une promesse de campagne du candidat Mitterrand à la présidentielle de 1981.
09:35 Au lendemain de leur visite à l'Élysée, les marcheurs ont retrouvé leur vie d'avant.
09:45 Certains ont continué leur combat pour l'égalité dans l'anonymat.
09:51 Mais 40 ans plus tard, leurs revendications ont-elles été satisfaites ?
09:55 Emploi, logement, relations avec la police.
10:00 Au fil des ans, les enquêtes prouvent que les discriminations perdurent et que les tensions persistent.
10:07 Certes, la population française s'affiche de plus en plus tolérante envers les minorités.
10:12 Certes, les meurtres racistes deviennent marginaux à partir des années 90.
10:18 Et la justice sanctionne avec plus de sévérité que dans les années 80 les auteurs d'agressions et d'actes racistes.
10:25 Pourtant, les atteintes à caractère raciste augmentent.
10:30 - Il y en a qui nous croient qu'on n'est plus capable de rien faire, mais en vrai, on est toujours réadaptable à la société, comme on dit.
10:37 - Mais là, ils disent non, c'est les mecs, il faut les laisser. Bien sûr, si ils nous laissent comme ça, ils nous laissent tomber.
10:41 - Ça va dégénérer, ça va faire du mal.
10:43 - Comment tu te vois, toi, dans 10 ans ?
10:45 - Moi, personnellement, je sais que je n'ai pas tardé à m'arracher.
10:47 - Alors, je pense que si je... Comme je sais que je vais partir, c'est parce que je sais que ça va aller de plus en plus mal et ça va finir mal. Très mal.
10:52 - Alors, je pense que si je... Comme je sais que je vais partir, c'est parce que je sais que ça va aller de plus en plus mal et ça va finir mal. Très mal.
10:57 - Ah, putain !
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11:10 Merci à tous !

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