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Disparition de Georges Kiejman : «Comme un bout du 20ème siècle qui s’évapore»
Europe 1
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15/05/2023
Chaque lundi dans la matinale de Dimitri Pavlenko, Philippe Val livre son regard sur l'actualité.
Retrouvez "Philippe Val - Les signatures d'Europe 1" sur : http://www.europe1.fr/emissions/philippe-val-les-signatures-deurope-1
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00:00
Emmanuel, mais d'abord Philippe Vall c'est à vous. Bonjour Philippe.
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- Bonjour Dimitri, bonjour à tous.
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- Vous vouliez rendre hommage ce matin au grand avocat pénaliste Georges Kejman, décédé la semaine dernière.
00:08
- Oui, comme les morceaux de banquise se détachent et fondent dans l'océan, avec Georges Kejman
00:14
c'est un bloc précieux de notre XXe siècle qui a disparu.
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Depuis quelques mois, nous savions que la mort rôdait autour de lui, pourtant nous qui le connaissions et l'aimions,
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nous avons été pris de court, il était tellement vivant qu'on n'imaginait pas qu'il puisse mourir.
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- Alors c'était un avocat historique, à l'éloquence, redoutable.
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- Bien sûr, et parce qu'il était, avec Richard Malka, un de mes deux avocats dans le procès des caricatures,
00:41
je peux témoigner qu'il valait mieux l'avoir avec soi que contre soi.
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- Mais qu'est-ce qui faisait sa force Philippe ?
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- Sa très singulière humanité.
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Son éloquence n'était pas une habileté travaillée,
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elle tirait sa force d'une sincérité sans laquelle il n'avait rien à dire.
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Son intelligence, sa curiosité, sa culture et son humour hors du commun faisaient le reste.
01:03
Par la grâce de sa légèreté et de sa malice perpétuelle,
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il glissait avec élégance sur le lac mystérieux de sa mélancolie.
01:11
Enfant d'émigrés juifs polonais, il a vécu une enfance misérable et traquée.
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Son père est mort à Auschwitz, raflé avec sa mère,
01:20
il a eu la vie sauve grâce à un juge qui a fait semblant de croire au mensonge de sa mère
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qui, parlant à peine le français, prétendit au mépris de toute vraisemblance être une Polonaise catholique.
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Élevé par une mère qui luttait chaque jour pour la nourriture,
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il a fait de brillantes études à l'école de la République,
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il citait de mémoire le nom de tous les professeurs qui l'avaient encouragé.
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Il était un pur produit du mérite républicain
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et jamais on ne l'a entendu se plaindre de quoi que ce soit,
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hormis de ses soucis de santé et encore, le plus souvent, pour en faire un bon mot,
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il était ce qu'on appelait au XXe siècle un homme supérieur.
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- Mais qu'est-ce qu'un homme supérieur ?
02:00
- Eh bien c'est quelqu'un qui a compris que l'amitié, la littérature, le cinéma, l'humour, le rire, la légèreté,
02:07
l'intelligence joyeuse et l'amour de l'amour, l'amour des femmes en l'occurrence,
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sont les seules armes décentes pour affronter les tragédies de la vie.
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Au cimetière du Montparnasse, Thierry Marambert, Pierre Norard, Richard Malka, Isabelle Huppert,
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Inés de Lafraissange et les trois enfants de Georges ont pris la parole devant son cercueil.
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Et peut-être est-ce là un des miracles de l'immortalité,
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mais à travers chacun d'eux, quelque chose de Georges Kecsman s'est exprimé.
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Et c'est ainsi que, sous la petite pluie froide,
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nos yeux inondés ont été régulièrement balayés par l'essuie-glace d'un fourrir.
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Toute l'assistance éplorée se gondolait jusqu'à sa fille qui, riant et pleurant, racontait
02:50
qu'au médecin de soins palliatifs qui demandait à Georges s'il était angoissé,
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il a répondu "je suis asquenaze".
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En ce siècle pleurnichard, il était une leçon,
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celle de la fatalité de la tristesse combattue sans relâche par l'élégance de la fantaisie.
03:07
- Mais peut-être que parfois, Philippe, les survivants sont plus vivants que les vivants.
03:12
- Peut-être, mais chacun de nous, à des degrés divers, est un survivant responsable du talent
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avec lequel il exerce le métier de vivre.
03:22
Au procès des caricatures, au moment les plus électriques,
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Georges ne manquait jamais de décocher une de ses flèches hilarantes
03:30
et même la partie adverse peinait à dissimuler son fourrir.
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Comme lorsque l'avocat de la Ligue Islamique Mondiale s'est dressé hors de lui
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et, levant une main menaçante vers le ciel, s'est mis à crier
03:43
"je vous connais, maître Kejman, je sais qui vous êtes, maître Kejman".
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Dans le silence qui a suivi, on a entendu Georges remarquer d'une voix calme
03:51
"eh bien, vous en savez plus que moi".
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Tout Georges Kejman était là.
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Quand arriva la suspension d'audience,
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en sortant, je me suis retrouvé au coude-à-coude entre Georges et ce même avocat de la Ligue Islamique
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qui m'a glissé à l'oreille.
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"Je suis en désaccord avec tout ce que vous dites,
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mais j'aimerais faire partie de vos amis".
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Aveu stupéfiant, mais explicable.
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Comment résister au plaisir de faire quelques joyeuses glissades
04:18
sur le lac mystérieux de la Mélancolie en compagnie de Georges Kejman ?
04:22
Malgré notre insistance, Georges n'a jamais voulu écrire ses mémoires.
04:26
Sans doute voulait-il ne laisser que sa joie de vivre en héritage.
04:30
- Très bel hommage, merci Philippe Vall.
04:32
C'était très touchant, d'ailleurs on peut découvrir la vie romanesque de Georges Kejman
04:36
dans un livre qui a été écrit avec Vanessa Schneider dans lequel il se raconte
04:39
"L'homme qui voulait être aimé s'est paru chez Grasset".
04:43
Merci beaucoup Philippe.
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