- 30/04/2023
Chaque dimanche, #LeGrandRDV reçoit un invité politique dans le Grand Rendez-Vous, en partenariat avec Europe 1 et Les Echos.
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00:00 Bonjour à vous et bienvenue à tous au Grand Rendez-vous. Bonjour Jérôme Fourquet.
00:03 Bonjour.
00:04 Merci d'être avec nous, c'est votre Grand Rendez-vous ce dimanche.
00:07 Vous êtes politologue, directeur de département à l'IFAP,
00:10 auteur d'ouvrages à succès comme l'Archipel français
00:13 et plus récemment La France sous nos yeux.
00:16 Avec vous ce dimanche, Jérôme Fourquet, nous allons prendre le temps de l'analyse,
00:19 une analyse lucide, percutante, la vôtre, sur la situation de la France,
00:23 politiquement, socialement, alors que le président de la République
00:27 vient de franchir le cap de la première année de son second mandat.
00:31 Situation singulière, historique également et tout à la fois préoccupante.
00:36 La note de la France a baissé, le stade de France en ébullition,
00:39 les fractures françaises béantes.
00:41 Pour vous interroger, je suis entouré de mes camarades,
00:44 Stéphane Dupont-Desecot, bonjour à vous Stéphane.
00:46 Bonjour.
00:46 Et Mathieu Bocoté, bonjour Mathieu.
00:48 Bonjour.
00:49 Jérôme Fourquet, sondage après sondage, c'est un président impopulaire
00:53 avec une réelle défiance qui se traduit dans vos enquêtes.
00:56 Mais on a déjà connu cette situation avec d'autres présidents.
00:58 Alors, est-ce que vous pensez que ça n'a rien de singulier, de particulier
01:02 ou alors est-ce qu'il y a une spécificité liée, selon vous, à Emmanuel Macron ?
01:06 Quand on regarde les indices de popularité,
01:09 il est aujourd'hui dans le baromètre IFOP pour le JDD à 26% d'opinion favorable.
01:16 Donc c'est un score qui est très faible,
01:18 mais il avait déjà connu cet étiage en janvier 2019,
01:23 au pic de la crise des Gilets jaunes.
01:25 Donc le concernant, il a atteint son plancher.
01:29 Il avait mis à l'époque quasiment six mois à reprendre une dizaine de points,
01:34 ce qui l'avait amené aux alentours de 35% d'opinion favorable.
01:38 La question est de savoir, est-ce que les conditions politiques et sociales
01:41 d'aujourd'hui et institutionnelles peuvent permettre une telle remontada sondagère ?
01:48 S'il cherche à se rassurer, il peut prendre appui sur les codes de popularité
01:54 de son prédécesseur, François Hollande,
01:56 qui ne se prive jamais de donner des conseils de gouvernance et de communication politique.
02:01 Dans ce même baromètre IFOP-JDD, Hollande était passé sous la barre des 15%.
02:06 Ce n'était pas les débuts de la Ve République, ce n'était pas si longtemps.
02:09 Donc la situation pour Emmanuel Macron, en comparatif, n'est pas aussi désespérée.
02:15 Vous pensez qu'il peut rebondir ?
02:17 Là où le bât blesse, c'est qu'il a des leviers politiques qui sont très affaiblis
02:21 par rapport à ses prédécesseurs et par rapport à son premier mandat,
02:25 avec le déficit d'une quarantaine de sièges à l'Assemblée nationale
02:29 qui le privent de majorité.
02:31 Et la question de la réforme des retraites a montré amplement
02:35 que l'absence de cette majorité rendait les choses extrêmement compliquées.
02:40 Là aussi, où on peut peut-être préciser les choses,
02:43 c'est que quand on regarde dans ces indices de popularité,
02:46 on a aujourd'hui près d'un Français sur deux, 47%, qui sont très mécontents.
02:50 Et donc il y a un bloc très important de Français qui sont extrêmement remontés
02:55 contre le président de la République.
02:56 Mais que s'est-il passé ?
02:57 Nous sommes passés d'une contestation de la réforme des retraites
03:00 à une personnalisation de cette contestation, au sentiment clairement anti-Macron.
03:04 De quelle manière s'est opérée cette mutation ?
03:06 Alors, il y avait déjà un anti-macronisme virulent et véhément
03:09 dans toute une partie de la population.
03:12 On rappellera que le deuxième tour de l'élection présidentielle,
03:15 Marine Le Pen avait recueilli 41,5% des voix,
03:18 ce qui est un score tout à fait substantiel,
03:21 et qui s'expliquait en partie par un anti-macronisme
03:24 qui était déjà très enraciné.
03:26 Le fait qu'avec des critiques qui portaient sur le style de président,
03:32 de gouvernance, la dimension très jupitérienne d'Emmanuel Macron,
03:36 tout ça lui était énormément reproché.
03:38 Et la gestion de la réforme des retraites, avec l'usage du 49-3,
03:45 le changement de pied sur toute une série d'arguments,
03:48 tout ça ont alimenté cet anti-macronisme.
03:52 Juste une question sur ça, vous parlez de la dimension jupitérienne.
03:54 Le général De Gaulle était une figure très verticale,
03:56 Georges Pompidou l'était à sa manière, François Mitterrand aussi.
04:00 Donc les Français n'ont pas toujours rejeté cette dimension verticale,
04:03 jupitérienne, pour reprendre la formule.
04:05 Alors, tout à fait, mais c'était pour dire les Français d'avant,
04:08 dans un autre monde.
04:09 Et donc aujourd'hui, manifestement, vous le voyez également
04:12 sur l'usage du 49-3, tout ça passe nettement moins aujourd'hui.
04:17 Et ce qu'on reproche aussi à Emmanuel Macron,
04:21 à côté de cette dimension jupitérienne,
04:24 pour une partie de ses critiques ou ses contempteurs,
04:26 c'est une arrogance.
04:29 C'est ça, c'est pas tant la verticalité ou l'aspect jupitérien que...
04:32 C'est les deux.
04:33 Oui, les deux.
04:34 C'est l'arrogance.
04:35 Arrogance et mépris, ça reste vraiment, j'allais dire,
04:37 collé intimement à l'image et à la méthode d'Emmanuel Macron.
04:40 Ça a été renforcé et, comme vous le savez,
04:42 chaque petite phrase vient réactiver des images
04:45 qui se sont mises en place très précocement.
04:48 À chaque fois, c'est les...
04:49 On parlait des...
04:50 Un de vos confrères a écrit un livre qui s'appelle "Les 100 jours".
04:52 Alors, c'est "Les 100 jours" du deuxième mandat.
04:54 Mais tout se joue, effectivement, dans les premiers mois.
04:56 Et là, pour Emmanuel Macron, c'est les premiers mois de 2017,
04:59 où très vite, il a été...
05:02 Vous avez le sentiment que le lien, il est complètement cassé
05:05 avec les Français ?
05:06 Est-ce qu'un changement de gouvernement, un remaniement,
05:09 un nouveau Premier ministre pourrait inverser la donne ?
05:12 Ou vous pensez que c'est définitivement compliqué
05:15 pour Emmanuel Macron ?
05:16 Alors, on est dans une configuration qui est très singulière.
05:19 D'une part, on l'a dit, il n'y a pas de majorité à l'Assemblée
05:22 et tout ça complique énormément les choses.
05:24 Donc, un remaniement, l'arrivée de nouvelles têtes,
05:28 si ça ne permet pas,
05:29 l'élargissement de la majorité parlementaire
05:31 n'aura que très peu d'effet.
05:33 On voit bien que l'affrontement, aujourd'hui,
05:36 c'est entre une partie des Français et le président de la République.
05:39 On change le locataire du ministère du Travail ou de Matignon,
05:43 occupera vos plateaux pendant 48 ou 72 heures,
05:47 mais dans le pays profond, tout ça n'aura guère d'importance.
05:51 L'autre caractéristique de cette période,
05:54 c'est qu'Emmanuel Macron est dans un deuxième mandat
05:57 et que peut s'installer l'idée que, en fait,
06:01 nous allons vivre dans cette espèce d'entre-deux
06:05 pendant toute cette durée du mandat
06:07 et que les Français n'attendent plus grand-chose,
06:10 éventuellement, du président de la République.
06:12 C'est une situation particulière.
06:15 Jérôme Fourquet, vous dites ce matin
06:17 qu'on pourrait vivre dans cet entre-deux
06:19 qui est quand même très particulier,
06:21 pendant quatre ans encore.
06:22 C'est long, quatre ans.
06:23 C'est très long, notamment.
06:24 C'est long quand il y a aussi, pardonnez-moi,
06:26 un sentiment ou une réalité d'affaissement de l'État,
06:29 des services publics,
06:30 parce que tout cela vient dans ce contexte très particulier.
06:33 Alors, on a connu déjà des deuxièmes mandats
06:37 assez lancinants.
06:40 Et donc, on pourrait être dans cette nouvelle forme
06:43 à ceci près qu'aujourd'hui, encore une fois,
06:44 vous n'avez pas de majorité.
06:46 Et donc, là, on est dans une espèce d'impasse politique.
06:48 Alors, peut-être qu'Emmanuel Macron aura la maestria
06:52 de renouer en partie le contact.
06:54 Mais comment ? Le grand débat s'est fait.
06:56 Voilà.
06:57 Il faut reconnaître que cela,
06:58 même si ça a été beaucoup critiqué,
07:00 ça a été une sorte de trouvaille.
07:01 Ça a produit des effets à l'époque.
07:02 Aujourd'hui, qu'en reste-t-il ?
07:03 Quel lapin peut-il sortir du chapeau ?
07:05 Pardonnez-moi l'expression.
07:06 Les recettes et les ficelles ont toutes été employées déjà.
07:09 Donc, on a un roi qui est un peu nu.
07:11 Vous parliez du grand débat.
07:13 On a sinon un bricolage institutionnel,
07:17 les conventions citoyennes qui ont déjà été utilisées.
07:20 Et on voit qu'elles ne sont pas de nature
07:23 à modifier significativement la météo politique et sociale.
07:27 Donc, on est un peu à court.
07:29 Là, depuis le début, depuis quelques jours,
07:31 on va voir multiplier les déplacements sur le terrain,
07:33 plus ou moins organisés.
07:35 Là, à Dôle, il rencontre des Français sur un marché.
07:37 On a l'impression qu'il veut essayer de reprendre la main,
07:40 comme de cette manière-là.
07:41 Est-ce que ça vous paraît de nature à inverser la donne ?
07:45 Ou ça vous paraît vain ?
07:46 Alors, on a encore une fois 47% de Français qui sont très mécontents.
07:50 Donc, ceux-là, ils sont perdus pour la cause, je pense.
07:52 Donc, vous avez un Français sur deux
07:54 qui, d'ici la fin du quinquennat, je pense, ne changeront pas d'avis.
07:58 Lui, il s'adresse à ceux qui sont mécontents, mais pas trop,
08:02 qui pourraient essayer de regagner à sa cause.
08:06 Et les déplacements qu'il multiplie
08:09 peuvent être, à terme, portés par une partie des Français à son crédit,
08:13 en considérant qu'il fait preuve d'une certaine forme de courage.
08:17 Ce dont il avait déjà fait montre,
08:20 lors de la crise des Gilets jaunes,
08:22 il n'avait pas hésité à descendre dans l'arène.
08:24 Donc, pour l'instant, si je puis dire,
08:26 on est dans une stratégie du gros dos
08:28 et d'essayer de consolider une base minimale.
08:32 Mais entre un quart et un tiers des Français,
08:34 ce n'est pas exactement la même chose.
08:36 Et il vise déjà à essayer de se constituer cet assis,
08:38 ce qui lui permettrait de retrouver un peu d'oxygène.
08:40 – Mathieu Boccott.
08:41 – Mais vous parlez du courage.
08:42 Est-ce que, de ce point de vue, la stratégie, si on peut dire,
08:45 de redéfinir le débat public, non plus sur les retraites,
08:48 mais sur le rôle de l'ultra-gauche, les casseurs,
08:52 les menaces à l'ordre public,
08:53 est-ce que c'est une stratégie qui, en dernière instance,
08:55 pourrait servir le Président de la République,
08:57 en disant, entre vous-même et peut-être pas,
09:00 mais il y a, cela dit, un tel risque de chaos dans le pays,
09:02 que je suis le dernier gardien de l'ordre.
09:04 Ça pourrait fonctionner ?
09:05 – Alors, c'est la musique qui a été entonnée
09:08 en sortie de crise des Gilets jaunes, avec un certain succès.
09:12 Et on avait vu d'ailleurs, dans les élections qui avaient suivi,
09:15 les élections européennes, que toute une partie de la droite,
09:18 l'ancien parti de l'ordre, s'était ralliée,
09:21 avec armes et bagages, si je puis dire, à Emmanuel Macron.
09:24 Et c'est typiquement dans les beaux quartiers parisiens,
09:27 comment les scores d'Emmanuel Macron, déjà en 2019,
09:30 avaient considérablement progressé,
09:32 ces habitants des beaux quartiers parisiens étant,
09:34 si je puis dire, aux premières loges,
09:36 pour constater les menées de ces casseurs
09:40 et de ces manifestants violents.
09:42 Là où les choses sont un peu plus compliquées aujourd'hui
09:45 pour Emmanuel Macron, c'est que toute une partie
09:47 de cet électorat, il l'a déjà.
09:49 Et donc, c'est le premier élément.
09:51 Le deuxième élément, c'est qu'il est perçu,
09:54 à tort ou à raison, comme faisant partie du chaos,
09:58 comme contribuant à tendre les choses.
10:02 Et donc, ce n'est pas évident que la corde
10:06 du parti de l'ordre, lui, soit aujourd'hui...
10:09 Donc c'est le paradoxe du pompier pyromane.
10:11 Alors, en partie, et vous avez, selon la formule
10:14 du politologue Jérôme Jaffray, une Marine Le Pen
10:17 qui, aujourd'hui, pourrait capter deux canaux
10:20 tout à fait porteurs, c'est-à-dire à la fois
10:22 être le parti de la colère, du ressentiment,
10:25 du ressentiment social, notamment sur cette réforme
10:27 des retraites, mais également capter,
10:30 comme la droite nationale a toujours su le faire,
10:33 le parti de l'ordre.
10:34 - Ce serait une nouveauté dans ce cas-là,
10:36 parce que le parti du ressentiment, cela a été le cas
10:38 pendant longtemps, et le parti de l'ordre.
10:40 Donc on va analyser cela avec vous, Jérôme Fourquet.
10:42 Marquez une pause, continuez à évoquer Emmanuel Macron,
10:45 mais aussi, vous avez employé l'expression, le pays profond.
10:48 On va en parler de ce pays profond, justement,
10:50 dans quel état est-il ?
10:51 On va sortir de cette réforme des retraites,
10:53 une courte pause, et on se retrouve sur Europe 1 et C News.
10:56 Une situation politique inédite,
10:59 une situation sociale préoccupante,
11:01 et un président de la République qui se donne
11:04 100 jours, mais 100 jours pour faire quoi ?
11:06 Nous en parlons avec le politologue Jérôme Fourquet.
11:09 Je suis entourée toujours de Mathieu Bocoté
11:11 et Stéphane Dupont.
11:12 Jérôme Fourquet, vous avez évoqué tout à l'heure
11:14 le pays profond.
11:15 Selon vous, quels ressorts profonds de la société française
11:18 ont été activés par le débat sur les retraites ?
11:21 Quelles peurs, peut-être, nouvelles se sont révélées ?
11:25 Ce qui s'est d'abord noué sur la question des retraites,
11:28 c'est la question du rapport au travail.
11:30 C'est ça qui était derrière ce sujet.
11:33 Bien évidemment, les Français parlaient de la réforme
11:35 des retraites, mais quand on parle retraite,
11:37 en creux, on parle également travail.
11:39 Et ce rapport au travail a énormément changé,
11:42 évolué en l'espace d'une trentaine d'années en France.
11:47 Je vous donne juste deux chiffres qui sont assez parlants.
11:50 En 1990, quand on interrogeait les Français
11:54 pour savoir si tel ou tel sujet était très assez,
11:56 peu ou pas du tout important dans leur vie personnelle,
11:59 60% des Français considéraient que le travail
12:01 était très important dans leur vie.
12:03 On est aujourd'hui à 21% de Français
12:06 qui considèrent que le travail est très important
12:08 dans leur vie.
12:09 La grande majorité, une soixantaine de pourcents,
12:12 considère qu'il est encore assez important.
12:14 Et donc, c'est ce que nous, on a appelé
12:16 la perte de centralité du travail,
12:18 pour tout un tas de raisons.
12:20 En dehors du travail, l'avènement de la société
12:22 des loisirs, qui fait résonner ces sirènes,
12:26 et de la consommation massive,
12:28 mais également ce qui s'est passé dans les entreprises,
12:31 dans les collectifs de travail, avec beaucoup de salariés
12:34 qui constatent une perte de sens,
12:36 avec la multiplication des normes, des process.
12:39 C'est-à-dire, allez plus loin, quand vous dites
12:41 multiplication des process, c'est-à-dire que l'homme
12:43 se sent l'employé, le travailleur, le salarié,
12:46 dévalorisé, c'est-à-dire qu'il ne voit plus
12:48 son utilité sociale ?
12:49 Il ne voit plus son utilité sociale,
12:50 ou même l'utilité tout court, le sens de son travail.
12:53 Je vous donne un exemple qui est assez classique,
12:56 c'est ce qu'on entend beaucoup dans le milieu hospitalier,
13:00 avec des infirmières qui racontent souvent
13:02 qu'elles se sont engagées par passion
13:04 pour soigner des gens, et que quand elles font
13:06 le bilan de leur journée, elles ont passé
13:08 la moitié de la journée à remplir des fichiers
13:10 sur Excel, pour encore une fois se conformer
13:12 à des procédures et à des process.
13:14 Vous pouvez multiplier les exemples,
13:16 si on reste dans l'univers de la fonction publique,
13:18 des gens qui disent "depuis que je suis petit,
13:20 je voulais courir après les voleurs,
13:21 donc c'est pour ça que je me suis engagé dans la police,
13:23 et moi aussi je suis noyé sous la paperasse".
13:26 Ça existe aussi dans le privé, avec ce qu'un essayiste
13:29 britannique avait appelé les "bullshit jobs" par exemple,
13:32 et donc beaucoup de Français ont perdu ce sens du travail,
13:35 ou en tout cas ils ne trouvent plus...
13:37 Jérôme Fourquet, le Président de la République,
13:39 il parle en permanence de la valeur travail,
13:41 il en a fait même aujourd'hui peut-être sa priorité,
13:44 est-ce que vous avez le sentiment qu'il est
13:46 complètement défasé par rapport au pays réel
13:48 que vous décrivez ?
13:49 Je pense qu'il est en décalage sur ce point,
13:52 si je reviens sur cette question du rapport
13:55 au travail et des retraites,
13:57 donc à côté de la perte de sens, on a bien évidemment
13:59 la question des rémunérations,
14:01 beaucoup de salariés considèrent que le compte n'y est pas
14:03 et que par rapport à ce qu'ils donnent,
14:05 ils ne reçoivent pas assez,
14:07 et puis qu'est-ce qui s'est passé depuis 30 ans également ?
14:09 C'est que des générations ont vu leurs parents,
14:12 qui à l'époque, en 1990, considéraient que le travail
14:15 était très important dans leur vie,
14:17 se donnaient quand même beaucoup à leur travail,
14:19 et puis pour un certain nombre d'entre eux,
14:21 être remerciés à 55, 56, 57 ans,
14:24 avec les plans de sauvegarde pour l'emploi,
14:26 les charrettes de pré-retraite,
14:28 et qu'une partie de la population a considéré
14:30 qu'on ne les prendrait pas à ce jeu-là,
14:32 et qu'ils donneraient juste ce qu'il faudrait.
14:35 Et donc la réforme des retraites arrive dans ce cadre-là.
14:38 Nous avions réalisé en 2021,
14:43 pour la fondation Jean Jaurès à l'IFOP,
14:45 une enquête à l'occasion du 40e anniversaire
14:48 de la victoire de François Mitterrand en 1981,
14:50 et on a interrogé les Français rétrospectivement
14:52 sur ce qu'avaient été pour eux
14:54 les plus grandes décisions de François Mitterrand.
14:57 On aidait un peu ces Français
14:59 en fournissant une liste qui récapitulait
15:01 un peu les grandes décisions présidentielles de l'époque.
15:04 Et ce qui arrivait en tête,
15:06 c'était la cinquième semaine de congé payé,
15:09 à quasi-égalité avec la retraite à 60 ans.
15:12 L'abolition de la peine de mort,
15:14 qui est souvent citée sur ces plateaux
15:16 comme étant la grande réforme mitterrandienne,
15:18 n'arrivait que assez loin derrière.
15:20 Et si vous regardez plus précisément
15:22 ce qu'était la réponse des ouvriers et des employés,
15:25 l'écart entre l'abolition de la peine de mort
15:27 et la retraite était tout à fait substantiel.
15:30 Et donc quand Emmanuel Macron a annoncé
15:32 pendant sa campagne présidentielle
15:34 vouloir reporter l'âge de la retraite à 65 ans,
15:37 ça a été perçu par beaucoup de Français,
15:39 notamment dans ce fameux pays profond,
15:41 comme étant juste la fermeture d'une parenthèse
15:44 qui avait été ouverte en 1981.
15:46 Et c'est pas pour rien, notamment,
15:48 que cette France des préfectures et des sous-préfectures,
15:51 où beaucoup de gens ont commencé à travailler tôt,
15:53 n'ont pas fait d'études supérieures,
15:55 à la capitale ou dans les grandes métropoles régionales,
15:58 eh bien tout cela considère qu'on leur a volé
16:01 quelques ans, quelque part, deux années.
16:04 Vous utilisez une formule qui m'a frappé
16:06 pendant tout le débat sur le travail,
16:08 Jean-Luc Mélenchon, c'est pas le seul,
16:10 à utiliser par exemple la formule "un langage très carcéral".
16:12 Vous prenez deux ans de plus,
16:14 comme si vous preniez deux ans de bang de plus finalement,
16:16 ce langage presque carcéral, le langage de la prison
16:18 pour parler du travail, il parle aux catégories populaires ?
16:20 Il parle à toute une partie de la population
16:22 qui exerce des métiers pénibles,
16:24 qui sont peu considérés,
16:26 et beaucoup d'entre eux considèrent que,
16:28 de manière paradoxale,
16:30 ça a été la récompense, si je puis dire,
16:32 que Emmanuel Macron leur a accordée,
16:34 suite aux efforts qui ont été faits pendant le Covid.
16:37 Vous vous souvenez de ces discours du Président de la République,
16:39 qui disait qu'il faudrait se souvenir
16:42 de toutes ces caissières,
16:44 de tous ces caristes,
16:46 les premières et les deuxièmes lignes.
16:48 Et beaucoup de gens disent, dans ces métiers,
16:50 eh bien voilà la réponse qui nous a été faite,
16:52 la récompense qu'on nous a donnée, c'est celle-ci.
16:54 J'ajouterais un autre élément sociétal,
16:56 qui explique aussi l'ampleur de la mobilisation,
17:01 sans doute, de notre point de vue,
17:03 contre la réforme des retraites,
17:04 c'est ce qui s'est passé autour de l'entreprise Orpea,
17:06 qui a jeté une lumière crue
17:08 sur la situation dans les EHPAD.
17:10 Et donc, bien évidemment, les Français ont en tête
17:12 que l'espérance de vie augmente.
17:14 Et donc, le gouvernement, de ce point de vue-là,
17:17 a raison d'avancer cet argument.
17:19 Sauf que les Français, eux, considèrent
17:21 l'espérance de vie en bonne santé,
17:23 et qu'ils se disent qu'en fait,
17:25 beaucoup de ces années qui ont été gagnées,
17:27 elles vont être passées à l'EHPAD.
17:29 Et donc, les quelques années de retraite active,
17:33 où on peut s'occuper de ses petits-enfants,
17:35 aller à la pêche,
17:37 faire le tour de France en camping-car,
17:39 si on en a les moyens,
17:40 eh bien, ce sont des années précieuses.
17:42 Et c'est ces deux années qui, entre guillemets,
17:45 auraient été volées aux Français.
17:47 Jérôme, pour que l'on vous écoute et on vous regarde
17:49 sur mon téléspectateur avec attention
17:51 depuis le début de cette émission,
17:53 nous avons parlé des maisons de retraite,
17:55 des hôpitaux, vous avez cité ces infirmières,
17:57 il y a aussi nos écoles,
17:59 il y a les maternités,
18:01 vous avez parlé de cette France qui, finalement,
18:03 à qui on a promis, c'est la France des pavillons,
18:05 c'est son pavillon qui aurait des écoles,
18:07 des gares, des maternités, etc.
18:09 Est-ce que cette France, aujourd'hui,
18:11 quand on lui dit, justement,
18:13 il faut faire deux années de plus,
18:15 il faut consentir à des efforts,
18:17 ce discours des efforts,
18:19 quand on a le sentiment, à tort ou à raison,
18:21 c'est souvent en raison qu'il y a un déclassement
18:23 de notre pays ?
18:25 Vous avez évoqué les services publics,
18:27 et là on peut essayer de s'appuyer sur des chiffres,
18:29 en termes de ressenti et de perception.
18:31 Les Français jugent négativement
18:33 l'évolution des services publics,
18:35 notamment des deux piliers centraux
18:37 que sont l'école et l'hôpital.
18:39 En disant que la situation se dégrade
18:41 et les enquêtes d'opinion montrent
18:43 que le niveau des services publics
18:45 se dégrade et les enquêtes d'opinion
18:47 montrent que le niveau de satisfaction diminue.
18:49 Alors même que, parallèlement,
18:51 nous nous caractérisons en France,
18:53 certes par un niveau de dépense publique
18:55 très élevé, mais également
18:57 par un niveau de prélèvement obligatoire
18:59 parmi les plus élevés au monde
19:01 pour financer ce modèle social.
19:03 Donc beaucoup de Français, aujourd'hui,
19:05 partagent un peu cette interpellation
19:07 de Jacqueline Mouraud,
19:09 une des figures des Gilets jaunes,
19:11 qui dit "Que faites-vous du pognon ?
19:13 Que faites-vous de notre pognon ?"
19:15 Aujourd'hui, c'est ça qui explique
19:17 en partie le fait que les Français
19:19 ne soient pas forcément prêts à faire davantage d'efforts.
19:21 On ajoute un autre élément
19:23 dans le tableau général,
19:25 c'est que par rapport aux réformes précédentes,
19:27 aujourd'hui,
19:29 qui s'appuyaient beaucoup à l'époque,
19:31 comme la dernière,
19:33 on date sur l'argument
19:35 financier et budgétaire.
19:37 Il y aura un trou dans les caisses de retraite
19:39 si nous ne faisons rien.
19:41 Cet argument, aujourd'hui,
19:43 porte beaucoup moins que lors des précédentes réformes.
19:45 Pour quelles raisons ?
19:47 Parce que le Covid est passé par là,
19:49 et parce qu'il y a eu
19:51 le quoi qu'il en coûte.
19:53 Il y a eu le quoi qu'il en coûte.
19:55 Et beaucoup de Français, du coup,
19:57 considèrent qu'il y a une espèce de cagnotte
19:59 gouvernementale
20:01 très profonde.
20:03 Qu'est-ce qui domine aujourd'hui ?
20:05 C'est la colère ou c'est une forme de résignation,
20:07 de désillusion face à ce déclassement ?
20:09 Les deux se mêlent.
20:11 Et donc, on le voit,
20:13 encore une fois,
20:15 si on revient sur ce mouvement
20:17 des réformes des retraites,
20:19 on a eu 12 journées d'action nationale.
20:21 Du bout à l'autre
20:23 de cette mobilisation,
20:25 les sondages n'ont pas fléchi d'un iota.
20:27 Et même à l'issue de la validation par le Conseil constitutionnel,
20:29 les enquêtes d'opinion indiquaient
20:31 qu'il y avait toujours une majorité de Français
20:33 qui étaient prêts à soutenir les mobilisations.
20:35 Donc ça, c'est pour la colère.
20:37 Et en même temps, comme dirait notre président,
20:39 cette mobilisation
20:41 ne s'est pas traduite
20:43 par des grosses
20:45 journées de grève.
20:47 Et donc,
20:49 ça, c'est pour la résignation.
20:51 Y a-t-il un sentiment, Jean-François Coquet,
20:53 de payer pour les autres ?
20:55 Ici même, il y a une semaine, à votre place,
20:57 nous recevions notamment Agnès Verdier-Molini,
20:59 auteure du livre "Où va notre argent ?".
21:01 Et puis, elle l'explique,
21:03 qu'il y a quand même cette France
21:05 qui travaille et qui n'en peut plus.
21:07 Une autre France,
21:09 pour certains, qui s'adossent
21:11 sur l'assistanat, et pour d'autres,
21:13 qui fraude. Et donc, cette France
21:15 du travail dit "Stop,
21:17 on ne veut plus payer pour les autres".
21:19 Alors, ça fait beaucoup réagir.
21:21 Mais est-ce que c'est prégnant dans vos enquêtes ?
21:23 Oui, alors, ce sentiment existe.
21:25 Mais on regarde à chaque fois
21:27 à côté et en dessous, si je puis dire,
21:29 mais également au-dessus.
21:31 Et donc, dans le même temps...
21:33 Les autres, peuvent être aussi...
21:35 On peut appeler certaines élites.
21:37 L'exil fiscal,
21:39 ou ce qu'on appelle pudiquement
21:41 l'optimisation fiscale.
21:43 Et donc, tout ça crée énormément de ressentiments.
21:45 Alors, selon votre sensibilité politique,
21:47 vous allez plus tourner votre colère
21:49 vers les profiteurs d'en haut,
21:51 ou les profiteurs d'en bas.
21:53 Mais il y a ce sentiment qui est,
21:55 de fait, assez prégnant,
21:57 avec, encore une fois,
21:59 adossé à l'idée qu'on n'en a plus, forcément,
22:01 de son argent, et que la qualité des services publics
22:03 qui nous sont rendus,
22:05 n'est pas au rendez-vous.
22:07 Mais Bruno Le Maire a cherché à pousser plus loin
22:09 la question de la critique de la fraude sociale.
22:11 On a entendu la formule, en parlant de l'argent qui va vers le Maghreb,
22:13 et ainsi de suite. Est-ce qu'il touche un sentiment
22:15 profond dans la population avec cette formule ?
22:17 Ou est-ce que la ficelle était trop grosse ?
22:19 Alors, il parle à une partie
22:21 de la population, et ce n'est pas la première fois
22:23 qu'on emploie ce type
22:25 d'argument.
22:27 Bruno Le Maire, avant d'être
22:29 l'un des piliers de la Macronie, appartenait aux républicains,
22:31 et les républicains, régulièrement,
22:33 dénonçaient le budget
22:35 tout à fait conséquent,
22:37 consacré à l'aide médicale d'État,
22:39 par exemple. Et donc, là, on est dans cette
22:41 même veine.
22:43 Est-ce que c'est courir derrière le Rassemblement
22:45 national, comme on l'a entendu ? Alors là, je vous
22:47 propose peut-être une question un peu
22:49 politicienne, mais est-ce que c'est marché
22:51 sur les plates-bandes, ou est-ce que c'est un sujet, aujourd'hui,
22:53 qui, du point de vue des Français, finalement,
22:55 est transpartisan, tout simplement ?
22:57 Alors, encore une fois,
22:59 il touche, il résonne
23:01 dans toute une partie de la population.
23:03 La question du bénéfice est une autre question,
23:05 c'est de savoir qui est en capacité
23:07 d'apporter des réponses.
23:09 Parce que poser un diagnostic, c'est déjà
23:11 le début de la... On va en parler.
23:13 ...de la réponse. Mais, si
23:15 on est dans l'incantation, et si,
23:17 encore une fois, ces thèmes
23:19 nous animent et nous occupent depuis
23:21 25 ou 30 ans, c'est qu'ils n'ont pas été réglés, comme dirait
23:23 la palice. Et donc, du coup,
23:25 au bout du bout, c'est sans doute
23:27 du carburant supplémentaire
23:29 pour Marine Le Pen. C'est-à-dire, si on décide,
23:31 sur ce sujet-là, comme sur celui
23:33 de la sécurité, nous en parlerons peut-être
23:35 tout à l'heure, de faire des déclarations
23:37 assez martiales, encore
23:39 faut-il que, derrière ces décisions
23:41 martiales, des résultats
23:43 soient présentés aux Français. Sinon, vous ne faites
23:45 que renforcer le sentiment
23:47 d'impuissance publique, qui est
23:49 le carburant historique du Rassemblement
23:51 national. -Volet sécuritaire,
23:53 vous l'avez dit, et aussi l'immigration
23:55 avec un projet de loi reporté.
23:57 Alors, faut-il y voir un renoncement
23:59 et puis une situation explosive,
24:01 celle de Mayotte ? A tout de suite
24:03 pour évoquer ces sujets sur Europe 1
24:05 et C News.
24:07 Et en ce dimanche, avec notre invité, il est
24:09 politologue, auteur et séliste à
24:11 succès d'ouvrages qui ont marqué, comme
24:13 l'archipel français ou encore la France
24:15 sous nos yeux, Jérôme Fourquet. Nous avons
24:17 évoqué le sujet des retraites,
24:19 des écoles, des hôpitaux.
24:21 Il y a évidemment le sujet brûlant
24:23 mais depuis tant d'années de l'immigration.
24:25 Le projet de loi sur l'immigration a été repoussé.
24:27 Avec cette phrase assez particulière
24:29 de la Première Ministre, Elisabeth Borne
24:31 a expliqué qu'au faute de majorité,
24:33 il n'y avait pas de consensus sur le sujet.
24:35 Pas de consensus, certes, dans la classe
24:37 politique, mais dans les sondages,
24:39 dans les enquêtes, en tout cas chez les Français, il y a
24:41 un consensus sur ce genre de réalité.
24:43 -Oui, alors là, on voit que, de la même manière
24:45 que sur les retraites, depuis
24:47 longtemps, les Français n'ont pas varié
24:49 d'opinion, ils étaient opposés à recul
24:51 de l'âge de départ, de la même manière
24:53 et à peu près dans les mêmes proportions, aux alentours des 2/3
24:55 de nos concitoyens
24:57 considèrent qu'il y a trop d'immigrés ou trop d'étrangers
24:59 en France, et ceci depuis au moins
25:01 15 ou 20 ans dans les enquêtes
25:03 d'opinion. Donc ça, c'est une espèce
25:05 de donnée. Toute la question est de savoir
25:07 si ce sujet devient, est placé
25:09 en tête des priorités
25:11 ou si, par exemple,
25:13 les fins de mois d'ici-ci, la question de l'inflation
25:15 est celle qui préoccupe
25:17 les Français. Mais quand on les interroge
25:19 spécifiquement sur ce thème,
25:21 le constat est là.
25:23 Donc, pour bien me faire comprendre,
25:25 ce constat n'a pas évolué,
25:27 néanmoins, ce n'est pas forcément la priorité quotidienne
25:29 d'une majorité de nos concitoyens.
25:31 -A Mayotte, c'est une situation
25:33 préinsurrectionnelle, c'est ce qu'a dénoncé d'ailleurs
25:35 la députée de Mayotte, Estelle Youssoupha.
25:37 Est-ce que cette situation,
25:39 est-ce qu'elle fait peur, je veux dire,
25:41 à l'ensemble des Français,
25:43 à la métropole également ? Certains y voient
25:45 un prélude, alors c'est peut-être exagéré
25:47 de le dire ainsi, je dis "certains", puis ce sont des mots
25:49 de certains opposants, qui pourraient se passer
25:51 dans d'autres territoires en France.
25:53 - Alors, c'est un...
25:55 Mayotte, c'est une situation, on le sait, très très particulière
25:57 avec l'appartenance à cette
25:59 archipel des Comores, avec une
26:01 proximité géographique
26:03 avec des pays, des îles
26:05 à très faible niveau de vie, et donc
26:07 il y a un effet d'appel d'air, notamment depuis que
26:09 Mayotte a reçu le statut
26:11 de département français, qui fait que
26:13 très concrètement, le RSA peut être
26:15 versé, et donc
26:17 je ne pense pas que ce soit extrapolable
26:19 à ce qui se passe en métropole.
26:21 Une fois qu'on a dit ça,
26:23 il y a quand même un certain nombre d'ingrédients qui sont poussés
26:25 à leur paroxysme, en termes d'immigration,
26:27 en termes d'insécurité,
26:29 et encore une fois, en termes d'impuissance publique.
26:31 Les chiffres parlent d'eux-mêmes,
26:33 en 2002,
26:35 lors de l'élection présidentielle,
26:37 Jean-Marie Le Pen avait fait 12% en deuxième tour
26:39 aux Comores, à Mayotte.
26:41 Et en 2022,
26:43 sa fille a fait 59%.
26:45 Elle est passée de 12% à 59%
26:47 en 20 ans aux Comores,
26:49 à Mayotte. Donc on voit
26:51 les effets de l'immigration. Quand je dis que
26:53 cette situation n'est pas extrapolable
26:55 à ce qui se passe en métropole...
26:57 Est-ce que vous n'avez pas l'impression que Mayotte
26:59 et le fait qu'Elisabeth Borne, cette semaine, disent
27:01 qu'ils renoncent ou qu'ils reportent temporairement
27:03 le projet de loi sur l'immigration, est-ce que vous n'avez pas l'impression
27:05 que pour les Français, il y a une forme de renoncement,
27:07 une impression qu'on en parle, de l'immigration,
27:09 et qu'il ne se passe rien ? Est-ce que c'est perçu comme ça ?
27:11 - Encore une fois, il y a une forme d'impuissance publique.
27:13 Vous voyez qu'avec "Tambour et trompette",
27:15 on annonce qu'il va y avoir
27:17 une grande opération,
27:19 ce qu'on appelle dans le langage
27:21 maorais, de "décasage". On va raser
27:23 les bidonvilles. Et puis le tribunal
27:25 administratif émet
27:27 des bémols, bride
27:29 la velléité du préfet.
27:31 Ça, c'est pour la situation
27:33 à Mayotte. Et comme vous le disiez,
27:35 au plan national,
27:37 on annonçait, en termes de séquences politiques,
27:39 après les retraites, une réforme
27:41 de l'immigration. Et Mme Borne
27:43 nous explique qu'il n'y a pas de majorité pour le faire,
27:45 pas de majorité à l'Assemblée, et je pense aussi,
27:47 plus grave pour eux, pas de majorité au sein
27:49 de la République en marche.
27:51 - Ça, c'est important. - Il y a deux tendances.
27:53 - C'est une majorité relative
27:55 qui est aussi fracturée à l'intérieur.
27:57 - Tout à fait. Sur ces sujets-là.
27:59 - J'en reviens sur cette question qui me semble essentielle.
28:01 Entre, d'un côté, l'existence
28:03 de majorité dans le pays, que vous avez évoqué,
28:05 l'absence de majorité, sinon dans la classe politique,
28:07 et bien, tout au moins, dans la majorité,
28:09 la macronie, est-ce que cette espèce
28:11 de majorité contraire, c'est-à-dire que le pays
28:13 veut quelque chose, la classe politique veut autre chose,
28:15 est-ce que ça ne participe pas au sentiment
28:17 d'impuissance que vous évoquez, qu'il y a peut-être
28:19 même de l'aliénation d'une partie de la population?
28:21 - Bien sûr. On est dans cette réalité-là.
28:23 Et le télescopage de la situation
28:25 très particulière à Mayotte, et l'ajournement
28:27 de la loi immigration,
28:29 vient renforcer
28:31 cette idée d'impuissance
28:33 et d'incapacité à juguler
28:35 un phénomène qui a des effets
28:37 profonds sur la réalité
28:39 de notre pays. - Mais est-ce que les thèmes sont nombreux
28:41 comme ceux-là? Parce que sur l'immigration, on dit
28:43 qu'il y a une majorité dans le pays, pas nécessairement
28:45 chez les élites, mais est-ce qu'il y a d'autres thèmes sur lesquels il y a une nette
28:47 fracture entre la majorité profonde
28:49 du pays et le discours dominant
28:51 dans la classe politique? - On le voit
28:53 également sur la question de la sécurité,
28:55 avec, là aussi,
28:57 depuis au moins une quinzaine d'années, toutes les enquêtes
28:59 qui convergent pour indiquer
29:01 que 70 à 80,
29:03 voire parfois davantage, de Français
29:05 considèrent que les peines
29:07 infligées par les
29:09 tribunaux ne sont pas
29:11 assez sévères. Alors, tous nos compatriotes ne sont pas
29:13 experts en matière
29:15 pénale, mais ils considèrent,
29:17 en termes de perception, que les choses ne sont
29:19 pas assez sévères. Là où les
29:21 situations, le diagnostic, s'aggravent encore, c'est que
29:23 encore faut-il qu'ensuite, ces peines
29:25 soient appliquées. Donc, il y a une demande
29:27 de sévérité qui est
29:29 très, très importante dans le pays.
29:31 Et on a un président de la République qui
29:33 avait cru
29:35 réaliser un véritable coup médiatique
29:37 en nommant
29:39 Place Vendôme,
29:41 M. Dupont-Moretti, qui est un avocat
29:43 pénaliste et qui avait gagné le surnom
29:45 d'acquittator lors de ces... - Ce que vous nous
29:47 dites. - Donc, il était en décalage
29:49 assez profond avec les
29:51 attentes du pays en matière
29:53 de justice. - Ce que vous nous décrivez,
29:55 Jérôme Fourquier, c'est une déconnexion
29:57 croissante entre les élites, la classe
29:59 dirigeante et le pays profond.
30:01 - Alors, sur ces sujets-là,
30:03 sur d'autres sujets, il y a sans doute
30:05 des
30:07 convergences qui peuvent être
30:09 plus importantes. Mais effectivement,
30:11 comme vous m'ameniez
30:13 sur ces terrains-là, et c'est pas
30:15 nouveau, on a ce
30:17 système. - Ça s'accroît.
30:19 - Et que reste-t-il d'ailleurs, parce que
30:21 nous sommes... Il y a des citoyens
30:23 consommateurs, et puis nous avons
30:25 des structures dans nos sociétés, dans notre
30:27 pays, et le catholicisme,
30:29 le communisme, le...
30:31 Enfin, je veux dire...
30:33 - Le patriotisme. - Le patriotisme. - Le gaullisme.
30:35 - Quand tout cela
30:37 s'écroule, en tous les cas, ce délit,
30:39 à quoi se raccroche encore ce citoyen,
30:41 je dis consommateur, parce que nous sommes
30:43 dans une période d'inflation, il ne faut pas oublier que c'est aussi
30:45 l'un des sujets majeurs. - Oui, bien sûr.
30:47 Alors, c'est tous
30:49 les sujets que j'ai essayé de traiter
30:51 dans le livre "L'archipel français", donc voilà, c'est ces piliers
30:53 qui étaient unificateurs et qui
30:55 étaient assez structurants, s'étendent
30:57 et littent, on a une société qui, aujourd'hui,
30:59 s'est fragmentée ou archipelisée.
31:01 Juste quelques chiffres, en début
31:03 des années 60,
31:05 35% des Français allaient à la messe tous les dimanches,
31:07 et 25% votaient communiste.
31:09 Il n'y avait pas de risque double compte, en général, parce que
31:11 ceux qui avaient la carte ne fréquentaient pas
31:13 trop la messe. Et donc, on était typiquement
31:15 dans l'imagerie
31:17 qui était celle d'un grand film de sciences politiques,
31:19 c'est les films de Don Camillo et Pepone, là, en Italie,
31:21 donc c'était ça. On avait 60% de la population
31:23 qui était affectée
31:25 dans deux familles.
31:27 Aujourd'hui, il doit y avoir à peu près
31:29 4% de Français qui vont à la messe tous les dimanches,
31:31 et Fabien Roussel a fait 2,5%
31:33 à l'élection présidentielle. Donc ça s'est effondré,
31:35 et pour ce qui est d'un autre
31:37 pilier plus sous-jacent, qui était
31:39 tout le discours
31:41 patriotique,
31:43 étatiste,
31:45 qui avait été mis en place, notamment par De Gaulle,
31:47 on voit que là aussi, il s'est
31:49 beaucoup affaissé. Alors,
31:51 qu'est-ce qu'il reste ? Eh bien, effectivement, on est dans
31:53 une société de consommation où le citoyen
31:55 est en grande partie d'abord
31:57 un consommateur, et c'est pour ça que la question du
31:59 pouvoir d'achat est aussi sensible
32:01 politiquement. Pourquoi est-elle sensible
32:03 politiquement ? Parce que si on fait une
32:05 étymologie de bas étage, le pouvoir
32:07 d'achat, c'est pouvoir acheter.
32:09 Et donc, le principal pouvoir ou droit
32:11 d'un consommateur, c'est celui de consommer,
32:13 pour se sentir appartenir à la
32:15 grande fête, être accepté ou
32:17 rembanqué de la société de consommation.
32:19 Ce qui reste, finalement,
32:21 c'est presque la dernière souveraineté
32:23 qui reste... Pour une bonne partie
32:25 des consommateurs, des citoyens,
32:27 le fait de pouvoir consommer
32:29 constitue
32:31 une preuve de leur appartenance
32:33 à la grande classe moyenne.
32:35 Donc, l'inflation n'est pas seulement un sujet
32:37 économique fort, c'est un sujet politique
32:39 et presque de dépossession de ces classes.
32:41 Tout à fait. Et alors, ça,
32:43 effectivement, le retour de l'inflation
32:45 vient aviver les plaies. Parce que c'est
32:47 à la fois la capacité à remplir son
32:49 frigo, ce qui est problématique
32:51 pour beaucoup de Français. Une enquête
32:53 qu'on a réalisée à l'IFOP auprès des gens qui sont au SMIC
32:55 ou sous le SMIC, nous montrait que 40%
32:57 de ceux-là avaient réduit
32:59 les quantités et les portions
33:01 alimentaires qu'ils servaient à table chez eux.
33:03 L'INSEE, c'est pas que l'IFOP,
33:05 a mesuré une baisse de 5% de la
33:07 consommation alimentaire sur 2022.
33:09 C'est la plus grande baisse depuis
33:11 que cet indicateur a été mis en place en 1960.
33:13 Donc, on n'est pas en train de dire que la France est en voie
33:15 de thermondisation, mais pour une partie de nos
33:17 concitoyens, aujourd'hui, l'inflation
33:19 sur les produits alimentaires pose
33:21 des problèmes, j'allais dire, de
33:23 survie alimentaire. Mais pour l'écrasante
33:25 majorité de nos concitoyens, c'est pas ça qui
33:27 se joue, c'est ce sentiment
33:29 de ne plus pouvoir
33:31 cocher les cases qui me
33:33 font me sentir appartenir
33:35 à la société telle qu'elle est
33:37 définie, telle qu'on la voit sur vos écrans,
33:39 qu'on la voit sur les réseaux sociaux.
33:41 Tout le monde se met en scène
33:43 pendant ses vacances
33:45 au bord de sa
33:47 terrasse, etc.
33:49 Tout ça façonne en profondeur
33:51 les imaginaires. - C'est important, là, ce que vous
33:53 écrivez. - Vous nous faites le portrait du citoyen consommateur.
33:55 Mais est-ce que l'existence des partis dits populistes,
33:57 LFI d'un côté, le RN de l'autre,
33:59 de force d'émergence politique,
34:01 le récit Zemmour à la fin 2021,
34:03 est-ce que tout ça, ça ne partit pas d'un désir
34:05 de politique qui se joue à gauche comme à droite
34:07 aussi, donc une forme d'insatisfaction du citoyen
34:09 consommateur qui veut être autre chose ?
34:11 - Alors, il y a cette dimension
34:13 consumériste et hedoniste qui est très
34:15 forte en France. On a parlé des retraites,
34:17 le temps pour soi,
34:19 mais il y a également, bien évidemment,
34:21 des passions politiques qui n'ont pas
34:23 disparu dans notre pays. Et donc,
34:25 vous l'avez cité,
34:27 Jean-Luc Mélenchon, qui connaît ses classiques,
34:29 a su parfaitement parler
34:31 à ce qui reste de la gauche et a
34:33 enflammé son imaginaire.
34:35 Et puis, Marine Le Pen
34:37 et, dans une certaine mesure,
34:39 Eric Zemmour ont, eux aussi,
34:41 parlé à une partie de la population
34:43 en ne surfant pas
34:45 uniquement sur des thèmes, et encore moins
34:47 pour Eric Zemmour, sur des thèmes consuméristes,
34:49 mais sur des sujets existentiels, comme
34:51 celui de l'avenir de notre pays,
34:53 sur ce qu'on appelle dans certains courants
34:55 de pensée la continuité historique, le droit
34:57 à la continuité historique, etc. Le fait que
34:59 la France reste quand même quelque chose
35:01 qui ressemble à la France, et donc tout ça,
35:03 bien évidemment, parle aussi
35:05 à une part grandissante des Français.
35:07 Mais vous voyez, Marine Le Pen est arrivée au second tour
35:09 en utilisant ses recettes classiques,
35:11 mais en y adjoignant
35:13 également tout un volet économique et social.
35:15 C'est elle qui va parler d'une TVA.
35:17 C'est justement l'objet de la dernière partie. Jérôme Fourquême,
35:19 vous faites un lancement formidable.
35:21 Donc on va en parler, c'est la question
35:23 qui va en profiter, c'est pas le mot
35:25 mais entre guillemets, mais c'est-à-dire qui va récolter,
35:27 finalement, les fruits de cette colère, de cette contestation.
35:29 On se retrouve dans quelques instants.
35:31 A tout de suite.
35:33 - Pour 100 jours, mais 100 jours pour quoi faire
35:35 alors que la nat de la France vient d'être
35:37 abaissée, que le stade de France,
35:39 on l'a vu, était en ébullition, que les fractures
35:41 françaises sont béantes, mais reconnaissons
35:43 que cela ne date pas
35:45 d'Emmanuel Macron. Et la question qui nous vient
35:47 à l'esprit, Jérôme Fourquême, est maintenant.
35:49 On est vraiment, comme on dit, c'est l'expression consacrée
35:51 à la croisée des chemins, où chacun espère capter
35:53 les voix de ses citoyens, électeurs
35:55 en colère. Marine Le Pen,
35:57 tout le monde semble avoir intégré
35:59 qu'elle peut l'emporter en 2027, y compris
36:01 le président de la République, qui en a parlé
36:03 dans son interview aux Parisiens.
36:05 C'est encore une question, un doute ?
36:07 Ou c'est presque, non pas une...
36:09 C'est une hypothèse qui devient tout à fait
36:11 plausible aujourd'hui ? - Ecoutez, nous, sur la base
36:13 des enquêtes qu'on peut mener
36:15 à l'IFOP, et puis
36:17 encore plus certainement sur la base
36:19 des résultats électoraux,
36:21 notamment de la dernière élection présidentielle
36:23 et des dernières élections législatives,
36:25 nous considérons que
36:27 l'hypothèse d'une victoire de Marine Le Pen
36:29 lors de la précédente...
36:31 la prochaine élection présidentielle
36:33 est aujourd'hui une hypothèse
36:35 sur laquelle il faut plancher,
36:37 sur laquelle il faut travailler,
36:39 et qu'on ne doit plus, comme par le passé,
36:41 l'écarter par construction d'un revers de main.
36:43 On considérait que la marche
36:45 était beaucoup trop haute
36:47 à franchir jusqu'en 2022,
36:49 mais quand elle a atteint 41,5%
36:51 des voix
36:53 au deuxième tour, ce qui de notre point de vue est colossal,
36:55 quand quelques semaines plus tard,
36:57 89 députés du Rassemblement national
36:59 ont fait leur entrée
37:01 au Parlement,
37:03 et bien, raisonnablement,
37:05 et j'allais dire professionnellement,
37:07 on ne peut plus écarter
37:09 l'hypothèse d'une victoire.
37:11 Donc il y a un bascule même dans votre travail
37:13 en tant que politologue,
37:15 plus largement correspondeur.
37:17 Le fait qu'on ne doive plus l'écarter
37:19 ne veut pas dire que ça va se produire.
37:21 Ça veut dire que ça rentre
37:23 dans le champ des possibles,
37:25 et qu'il va falloir
37:27 regarder comment les choses évoluent.
37:29 Jérôme Fourquet, que pensez-vous de l'analyse
37:31 de Patrick Buisson, l'ancien conseiller politique
37:33 de Nicolas Sarkozy, qui dit que tous les commentateurs
37:35 se trompent, que Marine Le Pen n'y arrivera
37:37 jamais, qu'elle n'aura jamais le...
37:39 Parce qu'elle n'écoute pas ses conseils.
37:41 Parce qu'elle n'écoute pas ses conseils, c'est ça.
37:43 Écoutez,
37:45 à 41,5% des voix
37:47 au deuxième tour,
37:49 on pense que
37:51 la dernière marche à franchir
37:53 n'est plus inatteignable.
37:55 Il n'y a plus de plafond de verre, c'est ça que vous voulez dire ?
37:57 Il n'y a plus de plafond de verre.
37:59 J'ai l'impression d'entendre ça depuis très longtemps,
38:01 entre deux élections présidentielles,
38:03 on entend toujours "maintenant, c'est la possibilité que Marine Le Pen l'emporte".
38:05 Depuis 15 ans, j'ai l'impression que c'est un discours
38:07 qui tourne en boucle.
38:09 Nous, à l'IFOP, on n'a jamais dit ça.
38:11 Jusqu'à 2022, c'est une hypothèse nouvelle dans votre cas.
38:13 Mais vous entendiez néanmoins cette petite position.
38:15 Oui, bien sûr.
38:17 Ça participe aussi
38:19 aux toxins de ceux qui voulaient
38:21 une mobilisation antifasciste,
38:23 en disant "attention, la menace
38:25 est à nos portes, etc."
38:27 Nous, en regardant froidement et objectivement
38:29 les chiffres, on considérait que tout ça n'était pas
38:31 sérieux.
38:33 Mais elle n'a pas un déficit de crédibilité dans vos enquêtes ?
38:35 Alors, il y a toujours, bien évidemment,
38:37 des choses qui
38:39 demeurent perfectibles sur l'image
38:41 de Marine Le Pen.
38:43 Mais vous savez qu'une élection, c'est
38:45 à la fois
38:47 quelqu'un qui se présente aux Français, mais également
38:49 une comparaison.
38:51 Et ce qui se passe, c'est pas forcément
38:53 – on le voit en termes d'image – une Marine Le Pen
38:55 qui gagnerait très fortement
38:57 en présidentialité,
38:59 en crédibilité, même si nos enquêtes
39:01 indiquent qu'il y a un mouvement dans ce sens.
39:03 Mais c'est l'autre phénomène concomitant,
39:05 c'est-à-dire que le reste de la
39:07 concurrence, quelque part,
39:09 sur le papier,
39:11 pour beaucoup de Français,
39:13 ne la surclasse plus. Et donc,
39:15 le handicap structurel qui était le sien
39:17 en termes de présidentialité, petit à petit
39:19 s'efface. Ça, c'est si on se
39:21 polarise uniquement sur la question des images
39:23 personnelles. Et puis, il y a toute la toile de fond
39:25 dont on a parlé précédemment,
39:27 sécurité, immigration, pouvoir d'achat,
39:29 qui sont des ressorts puissants
39:31 qui ont contribué à la
39:33 dynamique que nous connaissons aujourd'hui.
39:35 – Mais est-ce qu'il y a un basculement de la logique du cordon sanitaire ?
39:37 Parce que pendant un temps, on parlait de l'extrême-droite,
39:39 ensuite, on a davantage parlé, ces derniers temps,
39:41 on parlait des extrêmes. Et là, depuis
39:43 un temps, dans le débat sur les retraites, il y a eu
39:45 le projecteur placé
39:47 vers la France insoumise,
39:49 vers Jean-Luc Mélenchon. Est-ce que finalement,
39:51 le visage de la peur a changé, passe de
39:53 Le Pen à Mélenchon ?
39:55 – Alors, il y a toujours
39:57 toute une partie de Français qui
39:59 seraient totalement horrifiés
40:01 de la perspective d'une victoire
40:03 de Marine Le Pen. Mais, encore une fois,
40:05 le paysage s'est archipélisé,
40:07 s'est fragmenté. Et
40:09 le statut
40:11 de paria dont
40:13 souffrait le Rassemblement national
40:15 ne lui est plus
40:17 uniquement attribué à elle.
40:19 Mais on a également,
40:21 aujourd'hui, une gauche de la gauche
40:23 qui, par le
40:25 spectacle qui est donné à l'Assemblée nationale,
40:27 qui, par un certain nombre d'actions qui sont
40:29 menées sur le terrain, peut
40:31 également susciter la
40:33 réprobation. Donc, encore une fois,
40:35 Marine Le Pen
40:37 avait mis en place une stratégie
40:39 de dédiabolisation.
40:41 Donc, maintenant, on a l'impression qu'on est en saison 2.
40:43 C'est une phase de respectabilisation
40:45 et de banalisation.
40:47 Ce qu'elle peut se permettre
40:51 dans la mesure où
40:53 toute une partie du monde politico-médiatique
40:55 contribue de lui conférer
40:57 un statut à part. C'est-à-dire que, elle,
40:59 quelque part, se respectabilise.
41:01 Mais, pour l'électorat qui est très
41:03 "remonté" contre le système,
41:05 de manière subliminale,
41:07 quasiment en permanence,
41:09 il ressent,
41:11 consciemment ou inconsciemment,
41:13 que si on veut
41:15 faire mal au système, c'est plus
41:17 en votant pour elle que pour Mélenchon.
41:19 Je vous donne juste un ou deux
41:21 exemples. On n'a
41:23 aucun, à ma connaissance,
41:25 aucun artiste qui refuse
41:27 de jouer
41:29 un concert dans une ville
41:31 dirigée par une majorité de gauche ou insoumise.
41:33 Ça se passe pour les
41:35 villes du Rassemblement national.
41:37 Vous avez, très régulièrement,
41:39 des registres
41:41 sémantiques qui sont
41:43 employés, quand on parle de Marine
41:45 Le Pen ou du Rassemblement national, sur
41:47 le péril, le danger,
41:49 la menace, etc.
41:51 Et donc, tout ça infuse
41:53 dans une partie de l'opinion publique
41:55 et contribue à donner à Marine Le Pen
41:57 ce statut, toujours un peu à part.
41:59 Donc, si j'essaie de me résumer,
42:01 le handicap
42:03 structurel qui était le sien,
42:05 en termes de crédibilité,
42:07 vu la faisceau au niveau général,
42:09 se résorbe.
42:13 Et en même temps,
42:15 elle continue, et son parti
42:17 continue d'avoir un statut un peu à part,
42:19 qui est celui du parti
42:21 des outsiders, en fait.
42:23 - Et pas un vote d'adhésion ?
42:25 - Alors, quand vous êtes à 41,5%
42:27 des voix, avec 89 députés,
42:29 quand on a dit tout à l'heure que plus de 75%
42:31 des Français considéraient que les peines prononcées
42:33 par la justice étaient insuffisamment sévères,
42:35 quand vous avez 65% des Français
42:37 qui considèrent qu'il y a trop d'étrangers en France,
42:39 sur toute une partie
42:41 des sujets,
42:43 il y a sans doute
42:45 une forme d'adhésion.
42:47 On ajoute à cela le fait que
42:49 Éric Zemmour a
42:51 quelque part
42:53 ouvert
42:55 ce qu'on pourrait appeler en sciences politiques
42:57 la fenêtre d'Overton,
42:59 c'est-à-dire qu'on rend l'univers
43:01 du dicible plus vaste
43:03 qu'il ne l'était précédemment,
43:05 et on peut se demander si
43:07 Éric Zemmour et son parti
43:09 ne jouent pas aujourd'hui,
43:11 sans forcément le savoir,
43:13 le rôle qu'avait joué
43:15 l'extrême-gauche en France, après 1968,
43:17 qui, sur le plan
43:19 du terrain, de la gîte propre
43:21 ou de la bataille culturelle,
43:23 avait ensemencé
43:25 le terrain, et ce qui
43:27 avait in fine permis la victoire
43:29 au final de
43:31 François Mitterrand.
43:33 On va bientôt arriver à la fin de cette émission.
43:35 En conclusion, Jérôme Fourquet,
43:37 puisque nous avons évoqué quasiment tout le spectre politique
43:39 et puis en partie les fractures françaises,
43:41 est-ce qu'il y a encore cette croyance
43:43 en France d'un homme ou d'une femme
43:45 providentielle, puisque nous avons évoqué
43:47 tant de défis, on se demande qui
43:49 pourrait les relever
43:51 à la hauteur
43:53 de ces défis ?
43:55 Est-ce qu'il y a encore cette croyance,
43:57 comme vous l'avez dit autrefois ?
43:59 La nature de nos institutions, le suffrage
44:01 universel direct pour l'élection
44:03 du président de la République, notre histoire profonde,
44:05 tout ça
44:07 fabrique
44:09 cette croyance.
44:11 Néanmoins, l'histoire
44:13 des trente ou quarante dernières années,
44:15 les alternances politiques
44:17 répétées, gauche et droite,
44:19 droite et gauche, puis et gauche et de droite,
44:21 ont sans doute
44:23 douché une partie de la population
44:25 et vous voyez que, hors scrutin présidentiel,
44:27 nous avons un phénomène tendanciel
44:29 qui est celui de la hausse de l'abstention,
44:31 53% en dernières élections législatives,
44:33 avec une partie de la population
44:35 qui considère que les choses ne se jouent
44:37 plus ici. – Merci. – Merci à vous.
44:39 – Pour qu'elles ne se jouent plus ici, en tout cas,
44:41 ici sur ce plateau, nous avons eu votre
44:43 analyse ce dimanche, merci encore
44:45 à vous, merci à Mathieu Boccoté
44:47 et Stéphane Dubon. On vous souhaite un
44:49 très bon dimanche sur nos antennes communes et à très bientôt.
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