Quand les avocats accompagnaient les condamnés à mort jusqu’à la guillotine
  • il y a 3 ans
La peine de mort a été abolie il y a quarante ans. Souvenirs de quelques ténors, dont Robert Badinter, interrogés par notre journaliste Marie-Amélie Lombard-Latune

Avant l’abolition de la peine de mort, les avocats accompagnaient leur client condamné jusqu’à l’échafaud. C’était une tradition, un devoir pour eux.

Il y a dix ans, pour les 30 ans de l’abolition, je leur avais demandé de me raconter comment se passaient ces derniers instants. Mais aussi la tension qui existait dans les cours d’assises quand la tête d’un homme était en jeu, quand sa vie était dans la balance pendant tout le procès.

J’en ai parlé avec Robert Badinter, évidemment. Mais aussi avec d’autres, ténors des assises. Robert Badinter décrivait ces instants avec des mots simples : «L’accusé était là derrière moi, à un mètre dans le box. Je sentais son souffle. Je savais que si je ne réussissais pas, je l’accompagnerais bientôt à la guillotine. La peine de mort rôdait sur l’audience. »

À l’époque, les procès duraient beaucoup moins longtemps. Deux jours suffisaient pour envoyer un homme à l’échafaud. La défense avait, c’est la règle, la parole en dernier. Robert Badinter le racontait : «Lorsque arrivait mon tour de plaider, je savais que l’attention des jurés n’irait pas au-delà de quarante-cinq minutes » Et il interrogeait : « Vous imaginez la responsabilité qui pesait sur moi ?» Juste après l’élection de François Mitterrand, il dira d’ailleurs à sa femme, Elisabeth: « Il était temps. Soit Mitterrand était élu, soit je claquais du cœur à l’audience ».

Paul Lombard avait, lui, assisté à l’exécution de Christian Ranucci, l’assassin de la jeune Marie-Dolorès à Marseille. C’est l’affaire qui donnera lieu au livre Le Pull over rouge. Je me souviens que Paul Lombard s’est levé de son fauteuil, dans son grand bureau parisien, pour l’évoquer. Comme s’il voulait marquer la solennité du moment.

A l’époque, il recevait des crachats dans la rue parce qu’il était « l’avocat du monstre ». Le procès a lieu en 1976 dans une tension extrême, avec une foule qui hurle à mort. Paul Lombard revivait l’interminable attente du verdict. Cette attente où il était avec Ranucci, ne sachant pas quoi lui dire, ne trouvant pas les mots.

Mais c’est surtout l’exécution dont il se souvenait, en juillet 1976, à la prison des Baumettes. Au petit matin, avant de mener le condamné à la guillotine, les gardiens jetaient des sacs de sciure sur le sol pour que les pas du cortège qui accompagnait le condamné ne réveillent pas toute la prison. Il y avait là un petit comité: l’avocat, quelques magistrats, les gardiens, un prêtre. Tout allait très vite. Le condamné n’était pas prévenu à l’avance. On le réveillait vers 4 heures du matin et, soudain, il comprenait ce qui l’attendait.