Joseph FOLLIET, écrivain, journaliste, prêtre du Prado - 1903-1972

  • il y a 6 ans
Mes morts ont tous pratiqué un métier, où la plupart furent des maîtres, maîtres-tisseurs, maîtres-cordonniers, maîtres-carriers. À mon tour, j'exerce un métier - et, même plusieurs, mais l'un, entre tous, est à moi. Je ne suis pas écrivain, conférencier ni même professeur, encore moins "homme de lettres" ou "publiciste", ces titres à là fois sur- estimés et dévalués, mais journaliste. J'ai suivi un apprentissage long, coûteux, hasardeux. .Ayant passé par tous les postes, je connais toutes les ficelles de là profession. J'ai fait de la mise en pages et de la correction d'imprimerie, les doigts et, souvent, la figure tâchés d'encre. J'ai rédigé l'article de fond, le premier-Paris, mais aussi, et d’abord, et par préférence, la chronique, les échos, l’interview, l'enquête, le reportage, le compte-rendu, toutes besognes que les officiers d'académie et les petits jeunes gens à prétentions jugent au-dessous de leur valeur inestimable. J'ai même tartiné des chroniques féminines et du courrier des cœurs, sous des pseudonymes androgynes. Quand il fallait boucher un trou, allonger une colonne, ou réduire un article, à de justes proportions, les formes n'étant pas en caoutchouc, selon la formule consacrée, j'ai pratiqué les opérations nécessaires avec le stylo, les ciseaux ou le pinceau. J'ai travaillé dans les agences, les quotidiens, les hebdomadaires ; les revues, dans la presse générale et spécialisée, dans les feuilles françaises et étrangères , dans les journaux catholiques et les autres, dans la presse graphique et photographique, jusque dans les bulletins paroissiaux. J'ai signé d'innombrables papiers, mais qui ne font qu'un tout petit tas, comparé à celui de mes papiers anonymes ou pseudonymes. J’ai un métier. Je suis du métier, de la partie, de la manicle, comme disant les forains. Ce fichu métier, ce sacré métier, ce beau métier - si beau, puisqu'en définitive, il consiste à diffuser le vrai, à lui rendre témoignage devant les hommes - ce métier qui m'a, nourri, voilà (quelques vingt -cinq ans que je l’exerce,. sans compter les années préparatoires. J'y tiens et, .avec la permission de Dieu, j'espère, le continuer, de façon ou d’autre, jusqu'à mon trépas, si j'ose emprunter ce mot au lexique de Népomucène Lemercier. À certains moments, il m'exaspère jusqu'à me donner envie de m'engager dans la douane et je jure d'y renoncer : querelle d'amoureux, serment d'ivrogne. J'ai non métier dans la peau ; il me possède, il m’intoxique. Je. tâche de le faire, comme mes morts faisaient leur métier, qu'ils aimaient, avec conscience, avec patience, avec une minutie, entêtée, sans lui demander autre chose que le gagne-pain, la conscience du devoir accompli et du service rendu.

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