Sagesse de Silène

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La sagesse de Silène est une ancienne sagesse populaire grecque, du nom de Silène : un vieux satyre, un des fameux compagnons de Dionysos qui, comme les Ménades, ou Bacchantes, vivent cachés dans les forêts et les montagnes, où ils forment le mystérieux cortège de Dionysos.

Silène est mi-cheval, mi-homme : il a des sabots à la place des pieds, une queue et des oreilles de cheval, le visage barbu, des poils partout, et le regard lubrique. Il est sans gêne, toujours nu, toujours rieur, toujours d’une sensualité et d’une sexualité exubérante, le phallus volontiers proéminent.

Silène incarne les forces obscures, brutes, bestiales de la vie humaine : les forces surpuissantes qui règnent, travaillent et grondent dans les profondeurs, sous les belles formes stables. Les puissances si productrices, si effrénées qu’elles sont chaotiques, dangereuses, et même insupportables pour l’homme. Sinon dans le cadre bien délimité des cultes rituels, des mystères, des banquets, autant de célébrations où les terribles puissances cachées de la vie à la base de toute existence maîtrisée peuvent s’exprimer.

Silène serait aujourd’hui écarté de la cité comme une « maladie populaire », et même plus : jeté en prison. Et pourtant, jadis, en Grèce ancienne, on lui attribuait au contraire toute une sagesse : terrible et importante sagesse dans laquelle le philosophe Nietzsche reconnaît ni plus ni moins l’origine de toute notre tradition de pensée.

La légende raconte que le roi Midas a longtemps battu les bois à la recherche du sage Silène, sans parvenir à l’attraper. Quand enfin il tombe entre ses mains, le roi lui demande ce qu’il veut tant savoir : quel est pour l’homme – telle est la grande question de l’homme occidental – ce qu’il y a de meilleur, le bien suprême ?

Mais Silène ne répond pas. Raide et figé, il se tait. Jusqu’à ce qu’enfin, pressé par le roi, obligé par lui, il finisse par lâcher ces mots, terribles, en éclatant en même temps d’un rire strident : « Misérable race d’éphémères, enfants du hasard et de la peine, que m’obliges-tu à te dire ce qui est le moins avantageux pour toi à entendre ? Le bien suprême ? Il t’est absolument inaccessible : c’est de ne pas être né, de ne pas être, de n’être rien. En revanche, le second des biens est pour toi : c’est de mourir sous peu. »

Telle est la terrible sagesse de Silène : elle affirme qu’en vérité l’existence est tellement marquée par les tensions, les problèmes, les difficultés, les contradictions, les insupportables souffrances qu’il vaudrait mieux ne pas exister.

Face à ce constat tragique, la question est évidement de savoir comment faire pour s’en sortir dans ce monde fondamentalement marqué par la souffrance.

Or c’est là qu’entre en jeu la dimension artistique de la vie : elle seule est capable, par les œuvres, les fictions qu’elle crée, de rendre la vie possible et digne d’être vécue. Pour ainsi dire « comme des roses éclosent sur un buisson d’épines ».